Hiroshima mon amour se charge de documenter un épisode tragique de l’histoire de l’humanité : celui du 6 août 1945, jour de largage de la bombe nucléaire à Hiroshima, à travers un récit fictif où se mêlent questionnement sur la mémoire et amour passionnel. Les deux protagonistes, l’une française et l’autre japonais, se rencontrent à Hiroshima. Ceux-ci ne tardent à se confesser l’un à l’autre, se remémorent leur passé que l’on devine douloureux par le biais de longs dialogues parsemés de poésie, ces derniers permettant au spectateur de prendre connaissance des états de conscience passés, vécus par les personnages qui semblent lutter contre l’oubli, une forme de quête existentielle qui constitue le fil rouge de la seconde partie du film. L’amant japonais serait comme un témoin, un personnage « passerelle » entre le passé et le présent, l’oreille à laquelle se confie la protagoniste, tout en incarnant l’amant d’autrefois de cette dernière : le soldat allemand. Il fait resurgir le passé de la française, tel un retour de ce qui avait été oublié, l’élément qui rend cette remémoration possible. Cette situation fait écho à celle déjà vécue par la française, des années plus tôt à Nevers. Un parallèle entre le passé et le présent s’inaugure dans le film, métaphore de la mémoire applicable autant aux histoires personnelles des amants qu’à l’histoire d’Hiroshima, incarnant le passé de Nevers.
Les deux personnages sont traumatisés par le passé, un aspect qui les lie fatalement, d’autant que tous deux se retrouvent dans une position complexe : à la fois victimes et coupables au sens de l’histoire, l’une étant tombée amoureuse de l’ennemi et l’autre originaire de l’un des pays fautifs, responsable de la guerre. La française est, elle aussi, un personnage témoin : témoin de l’horreur, une étrangère venue visiter les décombres d’une ville dévastée par la guerre dans le but de tourner un film sur la paix, mais qui constitue une sorte de devoir de mémoire entrepris par la protagoniste qui dira elle-même : « j’ai tout vu à Hiroshima ». Dans cette dynamique mémorielle, celle-ci affirme être allée « quatre fois au musée d’Hiroshima », où elle dit avoir tout vu « à travers les photographies, les reconstitutions, faute d’autre chose, les explications, faute d’autre chose. » On la voit par la suite dans un hôpital local où se trouvent des victimes de la bombe. Cet examen de la ville lui donnera la prétention de penser avoir achevé cette mission mémorielle, avoir gagné cette lutte contre l’oubli, avoir pris connaissance du traumatisme dans ses moindres recoins. Elle déclarera d’ailleurs : « Je sais tout », ce à quoi son amant japonais lui répond: « Rien, tu ne sais rien », comme si les traces du passé, pourtant visibles et objectivées, ne permettaient de prendre réellement conscience de la tragédie. Le film jongle avec les souvenirs personnels des protagonistes et ceux de la guerre. Les âmes individuelles symbolisent celle de la société et ont un commun une chose : un passé tragique et indésirable pour le futur.
Le passé, l’importance de la mémoire et de la remémoration, la lutte contre l’oubli, le deuil, ou de manière plus générale : l’histoire, sont des thèmes sur-exploités dans le film, omniprésents dans les dialogues et les monologues, d’ailleurs largement influencés par la littérature et la subjectivité de l’auteur du livre orignal de Marguerite Duras puis d’Alain Resnais. La temporalité est perturbée. Le film commence par un dialogue. Celui-ci présente les thématiques centrales, évoque explicitement les efforts incommensurables pour lutter contre l’oubli, la confrontation à l’horreur d’Hiroshima : en vain, selon le japonais. Un discours pessimiste en émane, peut-être lucide, laissant présager un retour de l’histoire : « Deux-cent-mille morts. Quatre-vingt-mille blessés. En neuf secondes. Ces chiffres sont officiels. Ça recommencera. », affirme la française, passage qui d’autre part témoigne de l’implication de celle-ci dans cette quête mémorielle.
Dans une logique documentaire, le film exploite le décor de la ville, insère une série de plans représentatifs de la vie à Hiroshima après la catastrophe. Les amants errent dans les rues, leurs trajectoires semblent sans importance pour les personnages, mais particulièrement significatives pour le spectateur car permettant l’exposition de lieux, de gens, de documents... témoignant de la situation locale. Ainsi, lors d’une marche, des affiches de victimes sont brandies. Lors d’un dialogue, on aperçoit un figurant affichant de graves blessures corporelles.
La fin du récit se veut défaitiste. N’étant pas totalement affranchie de son passé, la protagoniste replonge dans une forme d’angoisse, apeurée par ce qu’a fait resurgir sa mémoire ou par la ressemblance de sa relation actuelle avec l’amour impossible d’autrefois. Le retour de la mémoire, étape cruciale dans le processus du deuil, n’a visiblement pas suffit pour refermer les plaies du passé.