L’homme qui en savait trop est un film quelque peu à part dans la filmographie d’Alfred Hitchcock. Pour la simple et bonne raison que ce film de 1956 est un remake américain de son propre long-métrage, datant lui de 1934. Et qui dit remake américain dit forcément plus de moyens : acteurs, lieux de tournage, équipe du film, outils de tournage… Ce qui, vous allez voir, n’enlève en rien le talent du maître du suspense !
Commençons déjà par une comparaison des deux versions. Et franchement, il n’y pas grand-chose qui change, hormis le nom des personnages (seul celui de Louis Bernard apparaît dans les deux films) et le décor du début (en Suisse pour 1934, à Marrakech pour 1956). L’histoire reste en effet la même : un couple et leur enfant (ici, un garçon plutôt qu’une fille) en vacances font la connaissance d’un Français qui se révèle être un espion et qui se retrouve assassiné sous leurs yeux, dévoilant qu’à Londres, un homme politique va se faire tuer. Une révélation qui pousse les comploteurs à kidnapper l’enfant du couple, afin que celui-ci se taise. Nous obtenons ainsi un scénario qui flirte entre polar et espionnage qui, quelque soit la version, se montre bougrement entraînant ! Tenant en haleine jusqu’à la dernière minute !
Après, que le début se déroule au Maroc n’est pas un choix purement aléatoire. Et pour cause, le film étant sous la bannière hollywoodienne, L’homme qui en savait trop doit se plier aux règles de cahiers des charges. À savoir, pour un gros film de cet acabit, présenter un décor hautement exotique. Le Maroc répond donc à ce critère ! Ce qui permet à Hitchcock de démarrer son histoire telle une plaisante carte postale, installant petit à petit le suspense (qui se fera surtout ressentir dès que nos héros débarquent à Londres) et usant même d’une certaine dose d’humour. Un comique d’époque, qui se plait à se moquer des coutumes locales mais également des touristes (le couple face à leur dîner), trouvant un juste équilibre pour ne jamais tomber dans le racisme (ce que beaucoup jugeraient de nos jours alors qu’il faudrait se mettre dans le contexte de l’époque).
À part une histoire prenante, Hitchcock parvient à montrer à quel point la musique, dans un film, aide grandement à l’ambiance. Si l’intégralité du film se montre classique dans son cheminement (enquête, indices, révélations…), le réalisateur use toutefois de la bande son pour faire s’envoler la mise en scène de son long-métrage. Notamment lors de la tentative d’assassinat à l’opéra, considérée comme la scène clé du film (d’ailleurs, nous retrouvons l’orchestre sur certaines affiches et lors du générique d’introduction). En la voyant, y a de quoi le confirmer ! Durant le reste du film, on nous dévoile que le meurtre va se dérouler lors d’un concert. Que le tireur appuiera sur la gâchette à un instant précis de la musique qui sera jouée. Alors, dès que les instruments commencent à se faire entendre, le suspense se met en place : les protagonistes cherchent désespérément où se cache le tueur, sous des airs symphoniques de grandes ampleurs. Nous faisant patienter inlassablement jusqu’au moment où le meurtrier sera démasqué et/ou nous arrivons à l’instant musical où l’arme à feu doit retentir.
Une passion d’Hitchcock pour la musique qui se fait donc grandement ressentir avec ce film, au point d’avoir au casting la chanteuse Doris Day, qui interprète elle-même les chansons du film. Dont l’une d’elle servira justement au besoin d’une séquence de retrouvailles nimbée de suspense. Mais il faut bien admettre que cette symbiose entre musique et mise en scène ne possède pas que des atouts. Si le suspense est travaillé à la perfection par le biais de ce procédé (et de la part d’Hitchcock, c’est tout à son honneur !), la plupart de ces moments s’en retrouvent un peu trop étirés, pouvant provoquer l’ennui du spectateur ou sa précipitation à vouloir que la trame continue. Un constat qui se fait ressentir lors de l’opéra mais surtout lorsque Doris Day joue du piano et chante devant tout un tas de personnes.
Mais fort heureusement, L’homme qui en savait trop peut compter sur son scénario, sa mise en scène digne du maître du suspense et une distribution de très grande qualité (James Stewart, Doris Day, Daniel Gélin, Brenda de Banzie, Bernard Miles, le jeune Christopher Olsen…) pour mériter sa place dans la prestigieuse filmographie d’Alfred Hitchcock.