Flic Story est, je pense, le meilleur film de Deray. Ok, il a pas la dimension mythique de La Piscine, mais à mon sens Deray s’impose avec ce film et ne retrouvera jamais dans sa carrière l’efficacité de ce métrage qui croise un casting au top, l’efficacité d’une histoire co-écrite par ledit Roger Borniche, authentique policier et une réalisation parfaite. Le film dégage déjà un vrai sentiment de richesse. Il est riche en personnages, en émotion, en petites sous-intrigues qui, loin de délayer le métrage, lui donne au contraire toute l’épaisseur pour s’affirmer comme le portrait d’une époque et surtout de la police d’une époque. Parmi les sous-intrigues en question il y a par exemple le comportement du policier violent, ou encore la vie privée du personnage de Paulo le Bombé. Il y a différents profils de malfrats, de flics, on s’aperçoit que tout n’est pas toujours tout blanc ou tout gris, et c’est ce qui rend, outre la traque elle-même, le film passionnant. C’est un portrait complet du grand banditisme d’après-guerre et de ceux qui le combattent. Toute cette « ethnographie » est soutenue par une intrigue policière très bien rythmée, qui n’hésite pas à user d’une violence radicale tout comme d’un humour discret, introduit notamment par le personnage du commissaire et sa relation avec le personnage de Delon.
Les personnages d’ailleurs ont la même richesse d’écriture. Ce sont tous les petits tics récurrents qui font de vrais humains, et par exemple l’habitude de Delon avec ses cigarettes fait parti de ces petits tics qui donnent de l’épaisseur à son personnage. Delon est, du reste, excellent dans son rôle, et il trouve un non moins excellent antagoniste avec Trintignant, sûrement dans sa meilleure prestation. Il est un bandit froid, violent, un peu fou, et en même temps, on sent qu’il y a une volonté de le caractériser de façon plus complexe, plus subtile. Ce duo d’acteurs emmène le film, mais il faut aussi souligner des seconds rôles mémorables. Le film est un défilé de gueules de cinéma, entre autres l’omniprésent du cinéma français de cette époque, André Pousse, qui a son heure de gloire dans un moment marquant du film. Tous les acteurs ont été parfaitement choisis pour leurs rôles et il en résulte un sacré paquet de moments anthologiques, portés aussi par des dialogues fort bien écrits.
Formellement Flic Story étonne par une certaine nervosité, une méchanceté à laquelle, j’avoue, le cinéma de Deray, parfois et même trop souvent pépère ne m’avait pas vraiment habitué. Le film est violent, il y a de bonnes scènes d’action bien enlevées, il y a une grande variété de décors et le film dégage une réelle impression de luxe. C’est beau, c’est soigné dans les détails, c’est pensé, on sent que l’épilogue par exemple a été finement construit et que le moindre petit élément se justifie. Flic Story se démarque clairement du polar tout venant par ce raffinement des images, de la photographie, de la musique aussi.
Pour ma part, voilà sûrement le chef-d’œuvre de Deray au cinéma français, le meilleur rôle de Trintignant et l’une des meilleures prestations de Delon, au moins sa meilleure en tant que flic. La solidité du film s’appuie sur ces trois noms du cinéma français qui semblent s’être donné rendez-vous pour exceller au même moment. Peut-être d’ailleurs l’authentique Roger Borniche était-il aussi au meilleur de sa forme ! Un incontournable du polar français de ces années-là. 5