Le succès inattendu de « Tueur à gages » réalisé par Frank Tuttle pour la Paramount qui propulse Alan Ladd et Veronica Lake comme le nouveau couple glamour du studio, incite tout naturellement à remettre très vite le couvert. Frank Tuttle avait réalisé en 1935, pour la Paramount, « La clé de verre » avec George Raft, inspiré de la nouvelle éponyme de Dashiell Hammett (1931). L’idée d’un remake ne met pas longtemps à faire son chemin. Ce d’autant plus que la Warner vient tout juste de triompher avec « Le faucon maltais » de John Huston, autre adaptation de Dashiell Hammett, dans lequel Humphrey Bogart impressionnait fortement en privé impassible. La Paramount qui croit tenir en Alan Ladd le rival de Bogart, met en chantier le projet, confiant le scénario à Jonathan Latimer et la réalisation à Stuart Heisler, ancien monteur pour Henry Hathaway et King Vidor. De son côté, fort de son nouveau statut, Ladd tente d’imposer l’adaptation de « Moisson rouge », une autre nouvelle de Hammett. Ce sera le remake de « La clé de verre » qui verra le jour. Paulette Goddard, la nouvelle star de la Paramount étant engagée sur un autre film, c’est tout naturellement que Veronica Lake s’intègre au casting aux côtés de Brian Donlevy et Bonita Granville. Le scénario respecte assez fidèlement l’intrigue tout en développant le rôle de Veronica Lake qui intervient plus tardivement dans la nouvelle et en réservant un happy-end pour le nouveau couple vedette qui en avait été privé dans « Tueur à gages ». En période électorale, Paul Madvig (Brian Donlevy), responsable du syndicat des électeurs est très courtisé, son soutien pesant très lourd. Tombé brutalement amoureux de la fille du sénateur en place, Janet Henry (Veronica Lake), son choix change aussitôt. Ed Beaumont (Alan Ladd) son adjoint et homme de main n’approuve pas ce choix mais sa fidélité reste acquise à celui avec lequel il a est lié par une amitié sans faille. Janet Henry jetant son dévolu sur Beaumont, les choses deviennent compliquées pour l’adjoint qui doit arbitrer entre son attirance pour la jeune femme, sa loyauté et ses craintes des représailles consécutives au revirement de son patron. Alan Ladd, tout aussi convaincant que dans « Tueur à gages », fait étalage d’une économie de gestes et de paroles qu’il met au service du caractère cérébral de son personnage s’évertuant à être en permanence sous contrôle pour anticiper les dangers qui guettent un Paul Madvig au tempérament sanguin et hâbleur mais aussi visiblement en perte de repères. Tout simplement magistral, il irradie le film de son charisme qui fait même
tourner la tête de la brute épaisse du camp adverse, joué par un William Bendix à l’œil torve tout simplement terrifiant, qui à travers une étrange relation sado-masochiste entre la victime et son bourreau, semble découvrir, éberlué la vérité de sa sexualité. Une coloration sexuelle tout à fait surprenante et osée pour l’époque qui n’a peut-être pas été remarquée par l’immense majorité des spectateurs. Dans le même registre, une autre hardiesse se dévoile lors d’une scène où la femme (Margaret Hays) d’un patron de presse découvrant que son mari est ruiné, se jette devant lui dans les bras de Beaumont de manière très explicite et sans retenue
. Vraiment très osé alors que le code Hayes brille de tous ses feux rouges. Magnifiquement mis en image par le très expérimenté Theodor Sparkuhl, « La clé de verre » fait brillamment l’éloge d’une amitié qui surmonte tous les obstacles et les tentations qui jalonnent le monde de la politique même si la fin un peu mièvre rappelle que la Paramount n’était pas la Warner qui ne cédait que très rarement au glamour facile permettant au spectateur de rentrer chez lui sur une note positive. Quant à Alan Ladd, difficile de ne pas imaginer que les frères Coen ont pensé à lui quand ils ont écrit le rôle de Reagan et recruté Gabriel Byrne pour l’interpréter dans « Miller’s Crossing » (1990), leur adaptation plus cynique mais aussi plus violente et introspective du roman de Hammett. L’acteur canadien diffuse jusque dans sa gestuelle, la même assurance et la même détermination froide face à un Albert Finney qui dans un rôle de chef plus nuancé et développé, permet aux deux frères de mieux explorer une relation qui de toute sa force et de sa complexité surplombe l’intrigue. Alan Ladd qui n’était sans doute pas très satisfait du tour pris par sa carrière après la trilogie noire grandiose qui lui avait laissé espérer marcher aux côtés des plus grands, doit être fier de là où il nous regarde.