Quand une bande-annonce est excellente, ce qui est le cas pour "La Sciences des Rêves", il est rare que le film tienne ses promesses. Fort heureusement, Michel Gondry a fait mentir cette loi : la poésie, l'humour, les dialogues percutants qu'on décelait dans la B.-A. sont bien là, et résistent à l'étirement d'un long métrage. Dès le début, on voit Stéphane dans le studio de sa "Stéphane Télé", étape intermédiaire entre le rêve et la réalité, sorte de réduit couvert de boites d'oeufs avec des caméras en carton, et un pan de fond bleu qui permet son incrustation dans le décor de son choix. Il nous explique quels sont les ingrédients nécessaires au rêve : le vécu de la journée, des souvenirs, des bribes de chanson, des évocations de l'enfance, des personnes proches...
On se dit que l'on va naviguer entre le monde des rêves et celui de la réalité, et que des codes visuels nous permettront de savoir où nous nous trouvons, avec le studio comme lieu de passage. Mais assez vite, on se rend compte que ça ne sera pas si simple. Déjà, la vie réelle est presque toujours filmée au grand angle, avec des lignes de fuites qui s'incurvent, légère atténuation de la vision qu'ont Zoe et Stéphanie quand elles observent leur étrange voisin de palier par le judas. Ensuite, Stéphane invente des machines dignes du Supercolor Tryphonar du Pr Tournesol : une pour faire des voyages dans le temps d’une seconde, une autre pour décrypter durant le sommeil les R.E.M., mouvements oculaires rapides. Quand elles sont en marche, nous savons encore moins où nous sommes.
Enfin, par moments, en pleine réalité, un personnage va se mettre à parler à l’envers, traduit par des sous-titres eux-mêmes à l’envers, à tel point que Stéphane a besoin de pincer Guy pour se convaincre qu’ils sont dans le monde réel ; et quand il se réveille d’un rêve où il s’enfonçait dans la neige, Stéphane découvre que son lit a rétréci et que ses pieds sont dans le freezer ! Tant et si bien qu’à l’instar du héros, le spectateur se sent devenir progressivement schizométrique… Les séquences oniriques sont filmées «à l’ancienne», avec des effets Méliès et des animations image par image plus proches des films tchèques de Jiri Trnka ou soviétiques de Garri Bardine que des effets numériques de «Matrix» (pourtant inspirés de la technique de centaines d’appareils photos synchronisés inventée par Gondry dans une pub pour Smirnoff). Loin d’envahir artificiellement le film et de le «clipiser», ils s’inscrivent toujours dans l’histoire et n’en constitue qu’une petite partie, l’essentiel du film reposant sur le jeu des acteurs.
Et justement, les acteurs sont tous formidables : Gael Garcia Bernal, attendrissant et magnétique, Charlotte Gainsbourg, aérienne et fragile, Alain Chabat, adorablement insupportable quand il pouffe comme un gosse attardé dans le dos de Stéphane alors que celui-ci montre à leur patron son calendrier de désastrologie. Car on est bien dans le monde de l’enfance, du refus de grandir : Stéphane et Stéphanie construisent des maquettes et des maisons de poupées devant la caméra comme Michel Gondry le fait derrière ; et jusqu’à la cruauté de Stéphane dans la scène finale qui n’est rien d’autre que celle des enfants malheureux.
Alain Chabat a expliqué, en parlant de l’intrigue : «C’est très fluide quand Michel Gondry te le raconte, un peu compliqué à lire, parfois complètement perdu quand tu tournes, et le résultat, je le trouve simplissime.» C’est vrai que la complexité et la virtuosité entraînent le spectateur sans jamais le perdre, lui donnant juste l’impression d’écrire l’histoire avec lui.
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