Ici, Julien Duvivier déploie surtout son talent de scénariste original, car "Sous le ciel de Paris" est, selon moi, un essai qui explore une mécanique bien ficelée tournant autour du thème du destin, où s'entrecroisent des personnages multiples aux motifs et à la psychologie différent(e)s, rentrant tous en interaction et convergeant, sans le savoir, dans une direction précise où chacun(e)s des protagonistes agissent indirectement sur la vie d'un(e) inconnu(e) , sous ce qui "semble" être les jeux du hasard et du destin...Mais cela reste un film en mode mineur dans la filmographie du cinéaste.
Il semblait évident que Duvivier, grand cinéaste "réaliste" et "existentialiste", puisse un jour écrire un tel scénario, puisque la plupart de ses films tourne autour du concept du destin. J'espère ne pas faire d'erreur grossière, mais en 1951, "Sous le Ciel de Paris", est une des rares incursions du genre dans le cinéma français, voir la vraie première incursion et une des rares! Depuis, des cinéastes étrangers comme Inarritu, Altman, P.T. Anderson, ce sont récemment, confrontés plusieurs fois à l'exercice avec talent. En France, il y a Lelouch, mais avec une vision moins "noire" que Duvivier, avec plus ou moins de bonheur et de "lourdeur" ou Resnais. L'un des derniers à l'avoir fait en France, c'est Cédric Klapisch avec "Paris"... Tiens, tiens... Je me dis que ce n'est pas une coïncidence en voyant le film du maître Duvivier. Ce qui me fait dire que Klapisch a bien "pompé" le concept en voulant rendre "hommage" à la ville éternelle! Mais Klapisch n'est pas Duvivier, il ne manie pas aussi bien la frontière entre légèreté, humour, drame et noirceur. Cependant, Klapisch creuse plus ses personnages, au détriment de sa déclaration d'amour à Paris, et reste positif dans son regard sur l'âme humaine...
Duvivier, lui, a volontairement choisi des acteurs de second plan (Sylvie, Jean Brochard, Paul Frankeur) ou des jeunes premiers (Brigitte Auber, Daniel Ivernel...), car la mécanique et ses conséquences l'intéresse plus que les personnages, tous abordés de manière superficielle, sauf, peut-être l'interne en médecine, joué par Ivernel, très bon. Puis il y a Paris et la Seine, superbement filmée, les scènes de rues qui foisonnent de vie et de mouvement, la vie quotidienne des parisiens et leurs aléas mais du côté du Paris artisan, commerçant, ouvrier ou le Paris des exclus (cf à Sylvie, la vieille dame aux chats). Duvivier déclare son amour à ce Paris là, le Paris prolétaire, le Paris des "vrais" gens... Quand à Klapisch, lui, il a filmé des parisiens "boboïsés" ou "bourgeois", parfois "arrogants", en usant de la corde sensible pour les "humaniser" et nous les rendre "accessibles". Le Paris de Klapisch est un Paris idéalisé, rêvé, inaccessible et artificiel pour une minorité de privilégiés, le Paris de Duvivier, est accessible, profondément humain et réaliste, donc tendre et cruel à la fois, même s'il y a quasiment 60 ans qui sépare les deux films. Car, même aujourd'hui, on peut se retrouver dans "Sous le ciel de Paris"...