Je ne suis pas un spécialiste du cinéma d'André Cayatte. Je n'ai vu que "Nous sommes tous des assassins", "Les Risques du métier", "Mourir d'aimer" et "Verdict", tous des films à "thèse" plus ou moins bien réussis mais tous "efficaces". D'ailleurs c'est après "Les Amants de Vérone" que Cayatte devient le spécialiste du cinéma à thèse, sauf quelques exceptions...
Les Amants de Vérone est à la lisière, une sorte de mélange hybride entre un cinéma à thèse balbutiant, sans grandes nuances (déjà !), et du réalisme poétique et romantique du cinéma d'avant-guerre et du cinéma d'occupation cher à Carné et Prévert. L'idée du scénario de Cayatte de mise en abîme de l'histoire de Roméo et Juliette au XXème siècle par l'intermédiaire d'un tournage de film est ingénieuse et originale pour aborder sa vision de l’œuvre de Shakespeare, il faut le souligner ! Mais Cayatte hésite en permanence entre dénonciation et critique d'un milieu social (bourgeoisie désargentée) et romance échevelé. Du coup, des ruptures brutales de ton et de rythme. Le portrait de la famille de Georgia (Anouk Aimée, débutante) est à la limite de la caricature, aucun des personnages n'est nuancé, on tomberait quasiment dans le grand guignol surtout avec le jeu de Marcel Dalio, sauf le personnage de Lætitia rendu subtile et ironique par la composition enlevée de Marianne Oswald, actrice que je ne connaissais pas et qui crève l'écran ici...
Dénonciation ne doit pas flirter avec lourdeur de traits ! D'ailleurs, les mots de Prévert sont en décalage dans leur bouche. Quant à la romance entre Angelo (Serge Reggiani) et Georgia, elle est traitée comme les films du duo Carné-Prévert, c'est à dire de bien belle manière, que ce soit dans la mise en scène ou le jeu du duo bien meilleur que celui des amants des "Visiteurs du soir" de Carné .
Pas d'entre deux ou de liant. L'idée du tournage de film aurait pu être ce liant solide, mais cela ne marche pas vraiment. Comme si Cayatte ne connaissait pas assez bien ce monde qui est le sien. Il ne s'en sert pas comme il faudrait, apparaissant comme seulement contextuel.
Le personnage le plus passionnant et le mieux écrit c'est celui de Raffaele campé par un Pierre Brasseur magnifique, parce que dirigé très sobrement. Au lieu d'insister lourdement sur cette famille de "dégénérés", c'est sur les mobiles de son personnage trahit que Cayatte aurait dû souligner l'intrigue.
En tous cas, le duo Aimée-Reggiani est lumineux et romantique à souhait et cela nous vaut les plus belles scènes du film: la scène du balcon, la scène au bord du lac et la scène finale. Reggiani avait un charme fou et une fraicheur, un quelque chose dans son regard qui fait craquer !
Techniquement et artistiquement rien à redire, superbe photo d'Henri Alekan, bon montage, beaux décors, belles scènes de Venise et Parme en extérieur, belle mise en scène... De la bel ouvrage !
Juste ce ton hybride qui ne m'embarque pas, parce que mal appréhendé, dont le duo Carné-Prévert aurait pu faire un chef d’œuvre...