Dans une autre vie, George Miller fut médecin. Tout juste diplômé de l'université de New South Wale, l'ex-étudiant a ensuite travaillé comme interne à l'hôpital St-Vincent. C'est en parallèle de cette formation que Miller a développé une attirance pour le Cinéma. Deux voies incompatibles, visiblement. Pas tant que ça, en réalité. C'est par son expérience dans les couloirs du service de traumatologie que le futur cinéaste trouvera l'idée de Mad Max. Et si on les regarde attentivement, toutes les œuvres qui paveront sa carrière après ça obéissent bien à une logique de progrès, de transformations et (surtout) d'expériences. Miller a peut-être choisi sa voie mais il n'a jamais oublié l'autre, l'harmonie entre l'Art et la Science va même lui offrir plusieurs de ses plus beaux travaux. Parmi lesquels, l'injustement méconnu Lorenzo.
"La médecine n'est pas une science exacte", assène justement le professeur Gus Nikolais aux deux parents courage (Susan Sarandon et Nick Nolte, impressionnants) prêts à tout pour sauver leur fils de 5 ans atteint d'une maladie orpheline. Un précepte qui pourrait tout aussi bien s'accorder avec le cinéma. Sur le papier, le sujet est une zone à haut risque dans laquelle fort peu de financiers s'aventureraient. Pas de superstars, pas de joli mélo, pas de méchants et pas de gants avec le petit Lorenzo Odone (rien de sa maladie ne nous sera épargné). Voilà... Ah oui aussi, on va prendre ce drame familial particulièrement rude et le transformer en folle épopée. Vous êtes sûrs ? Bien sûr que oui, vous répond George Miller. Et ça marche.
Le metteur en scène poursuit ses recherches dans le mode d'expression cinématographique. Il échafaude une narration incroyablement fluide, purgée de nombre d'effets tire-larmes tout en se permettant certaines illustrations empathiques. Le long-métrage peut afficher une durée de 2h15, le rythme est vif, émaillé d'ellipses, de tension et d'expérimentations lyriques (le conte lu à la belle étoile, le cauchemar d'Augusto). Comme toujours chez Miller surnage cette volonté d'exploser les codes afin de reconstituer un nouveau langage. Il s'exprime ici avec presque autant de force que lors de ses incursions post-apocalyptiques ou mythologiques. Malgré sa portée universelle, il livrait ici son opus le plus conceptuel avant Trois mille ans à t'attendre.
Vu son passif, Miller a bien cerné la question. Il décide de ne jamais prendre de haut le couple vedette ou dénigrer ses pairs. Les moments de grâce, on en trouve un peu partout dans le film mais spécialement dans ce ping-pong verbal entre les Odone et la communauté de chercheurs. On aurait pu craindre l'énième opposition entre foi et connaissances, il n'en est rien bien. Lorenzo présente au contraire une situation où les deux se suivent dans la même direction (la symbolique religieuse, on la retrouve autant chez les soignants que les patients). Si l'on questionne l'efficacité de protocoles bridant les schémas de pensée et les avancées scientifiques, l'équilibre moral dont du couple n'est pas sans soulever quelques inquiétudes (repli, usure).
Le spectateur pourra légitimement soutenir puis réprouver l'attitude entêtée des uns et l'apparente frilosité des autres. Tout cela culmine dans une séquence dévastatrice voyant deux familles touchées par la même pathologie s'affronter sur le terrain des responsabilités. Un moment charnière parmi tant d'autres où Miller affirme une position neutre mais pleine d'empathie envers les deux groupes. Même dans sa résolution, le récit conserve la nuance qui l'élève au delà de considérations idéologiques.
L'union et la compréhension mutuelle, seul vrai rempart face à ce qui menace l'existence. Candide ? Plutôt lucide. Juste pour voir, imaginez l'histoire des Odone transposée dans le contexte post-2020. Quel traitement lui aurait-on réservé au niveau médiatique, sur le plan moral ou intellectuel ? La posture d'un George Miller est d'autant plus précieuse puisqu'elle survole les oppositions binaires, alimentant un sectarisme nauséabond.