Il est incontestable que Le Décalogue compte parmi les films polonais les plus importants. C'est aussi l'œuvre-phare de Krzysztof Kieslowski, celle qui lui a apporté la consécration mondiale et le respect de tous ses confrères réalisateurs.
Œuvre ambitieuse, il ne s'agit pourtant pas du tout d'une superproduction : prévu et conçu pour la télévision, il adopte une esthétique de circonstance, soit une photographie peu soignée, des acteurs pour ainsi dire inconnus, des personnages communs affrontant des situations diverses de la vie de tous les jours. Ambitieuse qualifie bien cette œuvre, car il s'agit pour Kieslowski de parvenir à résumer le mystère humain en dix films, ce qui est extraordinairement réduit pour un sujet aussi vaste que l'univers.
Afin de mieux percevoir l'humanité, il invoque les sources vétérotestamentaires de la tradition chrétienne. C'est donc sur l'un des textes bibliques les plus symboliques et célèbres que vont s'appuyer ses observations.
Premier commandement : Un seul Dieu tu adoreras. L'histoire d'un enfant intellectuellement précoce, dont l'éducation est partagée entre son père passionné d'informatique et sa tante croyante. C'est certainement l'épisode dont le sens est le plus obscur. Le garçon meurt brutalement, et c'est peut-être le châtiment pour le père d'avoir adoré d'autres idoles.
Deuxième commandement : tu ne commettras point de parjure. Il s'agit d'une situation complexe qu'un médecin doit résoudre sans parvenir à invoquer une autorité supérieure. Question de morale et d'éthique, mais que Kieslowski traite presque avec désinvolture, sans véritablement se soucier non pas d'y répondre, mais de conclure véritablement, se contentant de montrer ses personnages désorientés et désemparés.
Troisième commandement : tu respecteras le jour du Seigneur. On se demande : où est le rapport ? C'est vrai que c'est le soir de Noël, que tout le monde est content et fait la fête, et puis ? Et puis ce n'est pas drôle pour tout le monde, notamment deux êtres qui partent à la recherche d'un disparu. Mais l'une est mythomane, et l'autre son ancien amant. Quand la vérité éclate, l'homme part retrouver sa famille. Presque aussi impénétrable que le premier, que l'on parcourt en balades nocturnes dans la ville enneigée.
Quatrième commandement : tu honoreras ton père et ta mère. Oui, mais s'ils ne le sont pas vraiment, j'ai le droit de coucher avec eux ? Kieslowski est tordu, et pourtant cet épisode est l'un des plus réussis. Il arrive à bouleverser ses spectateurs autant que ses personnages. Le complexe d'Œdipe n'a jamais été exploité aussi franchement et crûment. Décalé par rapport au commandement véritable, parce que le cinéaste sait lui trouver son sens le plus ambigu. Secouant et dérangeant et l'un des plus éprouvants.
Cinquième commandement : tu ne tueras point. Ce volet a fait l'objet par le réalisateur d'une adaptation pour le Cinéma. Et il y avait de quoi ! Le meurtre du personnage est terrible, mais comme dans les films de Fritz Lang, le spectateur finit inévitablement par prendre parti pour lui. Qui est le plus condamnable entre ce meurtrier et la société, qui elle, en cachant ses responsabilités derrière lois et conventions, commet un acte encore plus ignoble, que rien ne justifie ?
Sixième commandement : tu ne seras pas luxurieux. Encore plus que Hitchcock et Powell, Kieslowski met mal à l'aise le spectateur en l'accusant lui-même de voyeurisme. Cet épisode aussi a été adapté au Cinéma, mais il est tout de même une belle fumisterie. Parce qu'on renverse l'obsession, il paraît complexe et donc génial. Mais tout cela n'est-il pas un peu trop facile ?
Septième commandement : tu ne voleras pas. Oui, mais ce qui nous appartient, peut-on le voler ? Non, bien sûr. Seulement les enfants ne sont pas la propriété de leurs parents. Les personnages sont tous attachants pour leur tendresse ou leur impuissance touchante, mais ils risquent par leur possessivité d'étouffer la petite fille, qui elle n'a jamais rien volé à personne et n'est coupable de rien.
Huitième commandement : tu ne mentiras pas. Le mensonge et la culpabilité. Un épisode un peu vide qui fait écho aux autres, mais qui est aussi un souvenir des horreurs de la guerre. Une femme a refusé de parrainer une petite juive et s'en veut toute sa vie. Elles se revoient et pleurent ensemble.
Neuvième commandement : tu ne convoiteras pas la femme d'autrui. Un homme à qui rien n'est jamais arrivé se retrouve impuissant. Malgré cela, et après des épreuves bien difficiles, son couple surmonte tous les drames par l'amour réciproque qui dépasse tout. L'un des plus beaux de tous.
Dixième commandement : tu ne convoiteras pas les biens d'autrui. Un épisode qui tourne à la farce : deux fils se découvrent une passion pour les timbres quand ils apprennent la valeur que peuvent prendre ceux-ci. Fièvre de l'argent, vol, séparations, réconciliations, ce drame cache une bouffonnerie caustique.
Le Décalogue est une œuvre incontournable, irrégulière mais admirable.