En s'attaquant à l'opération américaine visant à déboulonner un chef politique somalien ayant tourné au carnage en octobre 1993, Ridley Scott se frotte à un nouveau genre : le film de guerre. Et malgré tout le bien qu'on peut penser du cinéaste, il y avait des raisons d'appréhender La Chute du Faucon Noir. Premièrement, le genre peut facilement verser dans l'exaltation du drapeau américain (Le maître de Guerre, Rambo 3, ...), et se vautrer dans une tranchée de poncifs et de contre-vérités. Deuxièmement, c'est Jerry Bruckheimer qui produit le film. Petit rappel utile : quelques mois auparavant, le même homme (avec son comparse Michael Bay) commettait Pearl Harbor...Un immense naufrage artistique à base de bluette abjecte et patriotisme grossier. Donc OUI, on pouvait avoir des doutes. C'est donc une bonne surprise de voir que Ridley Scott met clairement la pédale douce sur les considérations politiques pro-yankees. Ce qui l'intéresse, ce sont ces frères d'armes envoyés dans une mission qu'ils pensaient de routine et vont se retrouver dans l'enfer d'une escalade chaotique et déchainée.
Sur les 2h23 de projection, la mission va en occuper une bonne heure et demie. Sans coupure et sans issue. Une nouvelle fois, Ridley Scott fait preuve d'un génie cinématographique peu commun. La guérilla urbaine est filmée avec un sens de l'espace et une efficacité rarement vue sur grand écran. Scott se situe dans une veine similaire à Il faut sauver le soldat Ryan (approche quasi-documentaire, cruauté des combats), quoique son œuvre entend surtout nous immerger dans un chaos stratégique, sorte de labyrinthe urbain avec présences hostiles à presque chaque rue ou croisement. Les minutes défilent, la situation ne s'arrête plus de dégénérer et on voit tout. Du point de vue des Deltas sur place, des hélicoptères qui survolent Mogadiscio, des généraux qui sont tout aussi dépassés. Une déroute assumée et que le film a la bonne idée de ne pas occulter. Dans la forme, La Chute du faucon noir est probablement le film de guerre le plus influent après l'épopée guerrière de Steven Spielberg.
Maintenant, comme je le disais, ce n'est pas la toile de fond politique qui intéresse Scott. Ce qui en fait sa force et sa faiblesse. Surtout dans un contexte pareil, alors que l'administration Bush commençait sa guerre contre le terrorisme (2002), s'apprêtant à déverser ses bombes sur le moyen-orient avec les conséquences que l'on sait. Pas que La Chute du Faucon Noir devait verser dans le réquisitoire anti-armée évidemment. Mais discuter la légitimité de certaines de ses actions en pays étrangers, notamment dans des zones où les notions de stabilité, révolte ou nation ne sont pas forcément pensées ou obtenues de la même façon qu'en Occident, eut été approprié. Cela n'empêche pas une critique de l'arrogance et du manque de réflexion dans les directives opérationnelles, mais le film ne prend jamais vraiment le temps d'approfondir. Pression pour ne pas mordre sur la ligne de la part de Bruckheimer ? Pas impossible, vu le CV et les rapports amicaux que ce dernier entretien avec les forces armées américaines. Réciproquement, il serait quand même malhonnête de retirer au film son bilan pour le moins contrasté quant aux réponses militaires adressées face à des questions de politique étrangère.
Je serai donc bien moins critique à cet égard qu'Oliver Stone dans son documentaire Une autre histoire de l'Amérique. Bien que je conçoive les réserves concernant l'absence d'informations sur la situation somalienne, ou à l'absence de représentation concrète de l'adversaire, La Chute du faucon noir est tout de même loin de la propagande pro-américaine ou du révisionnisme fallacieux (à l'instar d'un certain Pearl Harbor). On peut rendre hommage à l'uniforme sans repasser un coup de polish sur la bannière étoilée. Selon moi, Ridley Scott le fait plutôt bien ici.