L'argument de base, qui rappelle celui de Ring (des adolescents mouraient après avoir regardé une cassette maléfique), s'inscrit dans une grande tradition fantastico-horrifique japonaise. Mais, tout en avançant à la frontière entre le monde des vivants et celui des morts, tout en développant une esthétique parfois bien flippante, le réalisateur Kiyoshi Kurosawa (auteur de l'excellent Cure en 1997) dépasse le simple film de genre, l'exercice de style. Kaïro est d'ailleurs assez dépouillé stylistiquement (pas trop d'effets spéciaux) et dramatiquement (peu de rebondissements). Les codes du genre n'ont ici rien de gratuit ; ils illustrent une réflexion diffuse, d'inspiration sociologique, voire philosophique. À savoir que l'accroissement des outils de communication va paradoxalement de pair avec un sentiment accru de solitude, qu'une forme d'incommunicabilité moderne nourrit un désarroi existentiel, et que le vide appelle le vide... L'idée originale du film est d'avoir rapproché les thèmes du suicide et du virus, avec pour dénominateur commun les réseaux informatiques ("kairo" signifie "circuit" en japonais). Cet aspect technologique apparaît aujourd'hui un brin désuet formellement, c'est normal. On peut en revanche regretter qu'il soit peu étoffé sur le fond, demeurant au stade du prétexte. Toutes les pistes narratives du film ne sont d'ailleurs pas forcément abouties. Mais sa qualité réside essentiellement dans sa mise en scène, cette façon qu'a le réalisateur de distiller progressivement un mal-être, une angoisse sourde, via des intérieurs sombres, une bande-son qui vrille les nerfs, des apparitions fantomatiques, fugitives et saisissantes. Bref, un univers déliquescent, qui fait ressentir profondément la tension entre pulsions suicidaires et peur de la mort. Le scénario "en creux", placé sous le signe de la dérive, a quelque chose d'intriguant et d'envoûtant. Le rythme lent du film y participe. Et se dégage de certains plans (les rues de Tokyo dépeuplées...) une vague impression de fin du monde, un sentiment de tristesse obscur et plombant, qui persiste quelque temps après la fin du film...