Ce n’est pas pour rien qu’on a pris le mot imbroglio aux Italiens : quand ils veulent faire une histoire velue, ils n’ont pas peur de semer l’audience en route, que le crime en germe ou non. Œuvre policière aux multiples visages, le film de Germi baigne dans un couloir narratif qui, telle une vis sans fin, va du commissariat aux lieux des crimes en agissant comme un intermédiaire.
Pour une des premières fois depuis Hitchcock, on n’a pas peur de prendre le spectateur pour une personne aussi douée d’intelligence & de sens analytique que le scénariste ou le charismatique personnage du policier compétent eux-mêmes : le spectateur est transformé en complice innocent du film.
Cela tombe bien car Germi, en plus de son rôle de réalisateur, est les deux : acteur incroyable, il transcrit les codes policiers dans la plus pure tradition du film noir sans perdre l’opportunité de composer des plans qui resteront parmi les plus iconiques du noir & blanc, à cette époque où l’ombre était sculptée sans plus créer de “points noirs” ni de ruptures. En fait, si Meurtre à l’italienne est le plus noir & blanc des films monochromes, rarement le crime a été si peu traité en noir en blanc.
Dans le ballet judiciaire qui s’agite, le cinéaste maintient la chaleur humaine, démontrant sa conviction dans les petits gestes ou les expressions qui passent sur les visages comme… des ombres. Alors on visionne un film qui peut se permettre de correspondre aux codes de l’époque tout en créant une forte dimension empathique qui rend la mort vraiment dramatique & triste ; pas juste cet ersatz de sensation forte qu’on cultivait jusqu’alors avec une forme de culpabilité un peu snob.
Germi nous enlève cette culpabilité comme s’il avait été le seul à comprendre que deux millénaires de dramaturgie pouvaient s’être trompés. Tout cela en étant lui-même, comme on le réclame généralement implicitement d’un réalisateur-acteur, extrêmement humble : la position de son personnage, en Italie, voudrait qu’on s’adresse à lui avec le terme respectueux de “dottore”, ce que les sous-titres rendent du mieux qu’ils peuvent – mais lui, bien dans son rôle, dit par au moins quatre fois qu’il n’est pas un “dottore”.
Puisqu’il s’agit d’un film policier, il se repose sur les auxiliaires (comprendre : les personnages secondaires) que les occis lièrent, afin de transmettre des codes qui, cette fois, s’adressent vraiment au spectateur : humour, crescendo dramatique, mystère. Mais il faut avoir l’esprit vif – encore – devant ce dialogue que je schématise :
— (Le prêtre) Il fréquente des cartomanciens, des voyants… Des charlatans, en somme.
— (Le commissaire) Oui, j’en connais un.
Cette moquerie discrète de la religion, passant presque inaperçue derrière l’acting subtil de Germi, est un échantillon de tout son mode opératoire, qui fait de nouveau de son pays un lieu de renaissance : ici, celle d’une narration qui croit en son public.
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