Au final, je regrette la présence un peu trop écrasante de Clint Eastwood derrière ce Thunderbolt and Lightfoot. Non pas qu'il prenne ici trop de place en tant qu'acteur ; au contraire, c'est un jeune et flamboyant Jeff Bridges qui lui vole la vedette, au plus grand plaisir d'Eastwood lui-même, qui aurait dit-on été, un peu comme son personnage, tellement rafraîchi par la fougue de Bridges qu'il se serait avec plaisir effacé derrière le petit nouveau. La relation entre ces deux-là, derrière comme devant la caméra, est d'ailleurs un bel éclairage de ce qui aurait pu marcher à merveille dans Le Canardeur. Entremêlement (plus que conflit) de deux générations, elle symbolise à elle seule, par elle-même et par la manière dont elle impacte et transforme le duo, la signature très forte d'un motif qui a toujours fasciné tant Eastwood que Michael Cimino, le très doué réalisateur débauché par Clint pour l'occasion, et futur metteur en scène du Voyage au bout de l'enfer. Ce motif, complexe et pluriel, traverse leurs deux filmographies, s'émaillant d'impressions mélancoliques très liées au passage du temps, à l'effondrement des mythes et à leur recherche dans le monde d'aujourd'hui. Cependant, comme si le jeune (Cimino) et le vieux (Eastwood) regardaient de chaque côté du miroir, aucun n'imprime fermement sa vision sur cette oeuvre, qui du coup ne décolle jamais. Certes, c'est surtout Eastwood (qui produit via sa société Malpaso) qui a le dernier mot, en tenant la bride d'un Michael Cimino qui mettra plus tard en place un style beaucoup plus lyrique, ample et choral que celui de Thunderbolt and Lightfoot. Pour autant, on sent bien qu'Eastwood n'est pas lui-même derrière la caméra, et que le classicisme relatif du film est par endroits estompé par quelques saillies que se permet Cimino, pour une direction artistique un peu bégayante. Le résultat est divertissant, mais sans plus, laissant seulement échapper une imperceptible étrangeté, que ce soit par plusieurs scènes potaches et les ruptures qu'elles amènent, que par sa retenue un peu en désaccord avec son propos libertaire très 70's (Easy Rider était passé par là). En découle un sentiment d'inachevé, tant le film parait n'appartenir à aucune époque, et d'un déjà-vu que rien ne vient sublimer. Le personnage d'Eastwood, qui regrette sa jeunesse morte et tente de la retrouver en Bridges, se heurte à la mélancolie de celui-ci, qui derrière son dynamisme apparent semble au moment du final se révéler comme déjà de longue date marqué par le temps de façon inexplicable et irréparable. Passage de témoin entre artistes ou entre personnages, Thunderbolt and Lightfoot laisse (malgré lui ?) l'image d'un geste inachevé, et d'une oeuvre rêveuse qui ne se livre pas facilement. Intriguant mais très loin des meilleures incursions d'Eastwood dans le genre (Un Monde Parfait) ou du grand cinéma de Michael Cimino (The Deer Hunter, L'année du Dragon).