Voilà un film qu'il est bien difficile de ranger dans une catégorie, et c'est peut-être cela qui le rend aussi séduisant. Est-ce une comédie, un drame, un mélo, un polar ? Probablement tout ça à la fois, pouvant parfois basculer de l'un à l'autre en quelques secondes. Alors avouons que si l'aspect bavard est parfois légèrement éreintant, cela n'empêche pas « Première désillusion » d'être régulièrement, et ce pour plusieurs raisons. D'abord, le talent de Carol Reed pour exploiter magistralement un décor quasi-unique, donnant à celui-ci des allures de labyrinthe, de jeux de pistes fascinants, mais surtout très angoissant. Le scénario parvient ensuite à rendre capital des détails nous paraissant anodins à la base, si bien que la tension est parfois extrême, notre implication concernant le sort des personnages étant totale. Et puis il y a cette subtile étude de caractères, confirmant avec brio la théorie que l'enfer est pavé de bonnes intentions. On a beau les trouver très attachants ces trois personnages principaux, les voir faire autant de mauvais choix, s'empêtrer dans des mensonges de plus en plus énormes pour se protéger les uns les autres a quelque chose d'à la fois pathétique et sublime, dont le jeune Philippe est la meilleure représentation. Enfin, il y a Ralph Richardson, magnifique d'humanité « maladroite », sans oublier Michèle Morgan, la classe absolue incarnée, c'en est même impressionnant... Bref, très beau, cruel, complexe et parfois d'une réelle puissance émotionnelle, voilà une œuvre nous faisant passer par tous les sentiments : décidément, Carol Reed était un grand.