L’œuvre de John Huston a de frappant qu’il se construit, dans sa sourde démesure, en procédant par rupture. De «The Maltese Falcon» à «Fat City» (USA, 1972) réside la pleine maturité d’un cinéaste qui s’affranchit de la codification des studios pour tendre vers des lieux en extérieurs, vers un soucis plus accru de réalisme. «Fat City», aujourd’hui, semble constituer la matrice d’un film d’icône déchu comme «The Wrestler». Chez Huston comme chez Aronofsky, un boxeur/catcheur rêve de reconquérir sa gloire en se délivrant de la misère. «Fat City» préfigure dans le même temps, phénomène plus probable, le délirium social de «Wise Blood» du même Huston. «Fat City» amorce la dernière période de Huston, que viendront entacher quelques films alimentaires comme «Annie». Y éclate un sentiment de désarroi, contenu en creux dans l’élégante maladresse des personnages de ses premiers films (notamment ceux interprétés par Bogart). Ce sentiment de désarroi, pleinement exprimé par le remarquablement nébuleux Stacy Keach, trouve sa pleine figuration dans les plans vides, parfaitement cadrés, qui viennent, non pas comme chez Ozu révéler la vitalité du monde, mais manifester l’hermétique stoïcisme des choses. Car Huston, finalement bien stoïciste, depuis «The Asphalt Jungle», ne relate que le triste sort d’un boxeur à l’aune de la trentaine dont le rêve d’un retour élogieux ne restera qu’à son stade embryonnaire. Son goût du succès sera transmis au jeune poulain (Jeff Bridges dans l’un de ses premiers rôles) qu’il aura remarqué et qu’il aura opportunément conseillé. La dernière séquence, dans laquelle Keach et Bridges observent un très vieil homme en s’imaginant à sa place, dégage un inquiétant parfum d’agonie, que Huston ne retrouvera que dans son adaptation de Joyce, «The Dead». Mais d’ores et déjà, dans «Fat City» résonne le regard harassé et lucide de Huston sur un monde fiévreux, dont la singularité ne s’exprime qu’à travers les personnages, leurs actions et leurs échecs.