Donnie Darko, par-delà son statut d’œuvre culte, ressemble à ces théories sur le cosmos formulées par des lycéens en section scientifique, manifeste un rapport au monde et à l’adolescence hors de toute poésie pour se concentrer sur les faits, les dates, les heures, les sauts temporels. Aussi le film de Richard Kelly jouit-il d’un franc succès auprès d’un certain type de public, friand d’espace-temps, de trous de ver et d’univers parallèles. Aussi le film de Richard Kelly revendique-t-il une dispersion de la structure linéaire de son récit, de sorte à faire coïncider son thème avec une esthétique générale de l’opacité, ce qui rappellera aux spectateurs les moins scientifiques ces exercices de mathématiques ou de physique devant lesquels ils restèrent silencieux. Et c’est une impression similaire que dégage ledit long métrage auprès de ces mêmes spectateurs incapables d’aborder l’adolescence hors du sentier des sens et de la sensibilité. Car Donnie Darko compose un personnage éponyme aussi désincarné que l’ossature affichée sur son costume d’Halloween : pas de profondeur chez Donnie, sinon celle mise en place par l’entrelacs de la réalité et de la fiction – ou de deux temporalités rassemblées, soit –, heurt compulsif de plans visuellement inspirés que prolonge une réalisation ampoulée avec moult ralentis, caméra renversée, flashs lumineux etc. Voilà un film bien mené, mais aguicheur, et en ce sens impropre à saisir la solitude voire la détresse du protagoniste principal, constamment embarqué dans un mouvement qui le précède et le dépasse. Traduction par le mouvement de l’adolescence qui emporte le garçon et l’égare ? Oui, cela se défend. Encore aurait-il fallu prendre le risque d’égarer non plus tant le spectateur que les personnages eux-mêmes, confrontés à des pulsions qu’ils découvrent et explorent, à des fantasmes qu’ils s’efforcent de rendre concrets. Ainsi, le long métrage de Richard Kelly perd en spontanéité ce qu’il gagne en maîtrise démiurgique, faisant du réalisateur le gardien d’une (seule) signification, et de son œuvre une construction centrifuge accessible à une poignée d’initiés. Kelly n’est pas Lynch, il n’incite pas le spectateur à donner du sens aux séquences qu’il voit s’articuler les unes aux autres, à faire acte de création, à penser l’œuvre de cinéma comme une création partagée, réitérée à chaque visionnage, à chaque nouveau spectateur réitérée. Kelly est un scientifique à courte vue, tellement persuadé de la validité de sa théorie qu’il en oublie la nature chimérique essentielle à celle-ci.