Il est évident qu'un film "étrange", "bizarre", n'est pas forcément un bon film, et il est essentiel de ne pas se laisser prendre au piège par un film "aux multiples interprétations possibles", faute de quoi on s'embarque dans le n'importe quoi.
Si l'intérêt d'un film se résumait à son inexplicabilité, alors tout est possible, et un film tout simplement mauvais pourrait s'en sortir du moment que le réalisateur (ou les fans hystériques) dise : "vous n'avez tout simplement pas aimé le côté non explicatif du film, alors que c'est précisément ce qui fait son intérêt".
Non, non, et non, martèle le vrai cinéphile qui a vu "Mulholland Drive" ou "Kaboom", et qui donc sait qu'il existe de bien meilleurs films mystérieux, de vrais films mystérieux.
Qu'on soit clair : "Donnie Darko" n'est pas un si mauvais film. Soyons d'autant plus indulgent qu'il s'agit d'un premier film, et que pour un premier film, le résultat impressionne. Ainsi, tout s'enchaîne avec une étonnante fluidité, et Richard Kelly arrive à créer une atmosphère de malaise (enfin au début). Le lapin, même s'il perd de sa puissance au fur et à mesure du film, est tout de même réellement inquiétant lors de ses premières apparitions.
Très bien, Richard Kelly a réussi son début, mais ça, c'est à la portée de tout le monde, le plus difficile étant de maintenir cette attention.
C'est là que ça se complique. David Lynch réussissait à maintenir l'intérêt du spectateur grâce aux innombrables indices venant parsemer le récit et qui étaient autant de promesses d'un final retentissant ; on pensait que tous ces évènements étaient liés, et vu la teneur des éléments, on attendait, résultat du choc de tout ça, une énorme déflagration finale. La force de David Lynch a été de ne pas créer ces éléments uniquement pour laisser présager d’un final unique, mais de les intégrer logiquement dans le récit de façon à ce qu’ils apparaissent comme tout sauf artificiels.
Les indices laissés par Richard Kelly apparaissent comme artificiels. On catalogue tout de suite le film comme étant un « film à clés », un film qui ne révélera son mystère qu’à la fin, dans un retentissant twist. Notons entre parenthèses que le film est quand même plus subtil que cela, dans le sens que le film à twist ne se regarde que pour savoir de quoi il va s’agir à la fin, les actions n’ayant en fin de compte d’importance que par rapport au twist, alors que "Donnie Darko" réussit à épaissir son sujet, de façon à ne pas répéter cette erreur. Donc, même si le film ne se résume pas qu’à son twist, il n’en reste pas moins que certains éléments apparaissent comme superficiels, et du coup en deviennent évident ; je parle par exemple de la « grand-mère de la mort » : dès la première apparition, on sait qu’elle va jouer un rôle important dans la résolution de l’histoire.
Je sais bien que le twist du film n’en est pas vraiment un, et que du coup on pourra me reprocher tout le paragraphe précédent. Mais même si la fin n’est pas un twist, tout le film est monté selon ce principe : des évènements mystérieux surviennent, ils ne s'expliquent pas, et ils s’additionnent au fur et à mesure du film ; c'est justement le principe d'un film à twist. Donc même si le final de "Donnie Darko" n'est pas un twist, dans le sens où l'on n'est pas plus avancé qu'au début, il fonctionne tout de même comme un film à twist, et par conséquent mon paragraphe précédent est fondé.
Parlons-en, justement, du final ; quel long et laborieux final ! Comme celui de "Mulholland Drive", il est destiné à détruire tout ce que nous avions construit précédemment (mais en fait… il est mort ! Mais alors…). Seulement les ficelles sont trop évidentes, on voit clairement que le réalisateur veut nous perdre, et, plutôt que de provoquer une fascination extrême, on s’embourbe dans un ennui profond, que les plus aveugles confondront avec "une des fins les plus complexes du cinéma" (à ceux qui pensent ça, allez donc voir "L'année dernière à Marienbad", les films de Lynch, "Dancing", "Un chien andalou", "le charme discret de la bourgeoisie", "Tristana", "Alice ou la dernière fugue", "2001 l'odyssée de l'espace", "Rubber", "Wrong", ou même "Usual Suspect" : vous vous apercevrez "Donnie Darko" n'a rien d'un film complexe, et qu'il apparait même comme assez simple
Donnie Darko est donc un film qui reste intéressant lorsque l’on sait qu’il s’agit d’un premier film, mais qui est loin de mériter son statut d'objet culte que son soi-disant mystère lui a donné au fil du temps.