La belle équipe, c’est une bande de copain (chômeurs et petites gens) qui gagne à la Loterie Nationale et qui plutôt que de diviser les gains entre eux font un projet en commun : monter une guinguette en bord de Marne. Nous sommes en ’36, les gens aspirent aux loisirs, ce sont des années de crise mais aussi celles du Front Populaire et des avancées sociales… voire des utopies. Et la chanson phare du film interprété par Jean Gabin va devenir l’hymne du Front Populaire et le film sera longtemps considéré comme le film témoin de cette période. Et Gabin, lui, va se construire cette image de prolétaire qui va lui coller à la peau durant deux décennies. Il fait « vrai », joue le leader naturel comme ici (il est à l’origine de ce projet du projet de guinguette), et puis il finit souvent en victime expiatoire du déterminisme social ou d’un amour impossible.
La genèse de ce film trônant en bonne position dans la culture française, c’est d’abord le scénario de Spaak que se disputent Renoir et Duvivier. Renoir tournera « La grande illusion » et Duvivier « La belle équipe » ; les scénario ne furent pas échanger. Renoir, le communiste affiché, croit en les vertus du groupe alors que chez Duvivier le groupe se constitue pour mieux exploser en plein vol emporté par les aspirations individuelles. C’est ce qu’on retient aujourd’hui après que la volonté d’une fin tragique voulue par Duvivier soit réhabilitée. Car suite à une projection privée devant 350 personnes, le public retient à une large majorité la fin heureuse que la production imposa à Duvivier. Et oui ! çà se faisait déjà en France et en ’36. Et dire que les deux fins possibles ne reposent que sur un montage radicalement différent sans nouveau plan filmé pour la circonstance. Et c’est donc grâce à cette fin heureuse, plus d’actualité aujourd’hui, que ce film devint le symbole de la France de ’36 pour bien des générations. Au regard de la fin voulue par Duvivier, le film prend un nouvel écho, mais nous y reviendront plus loin. Au-delà de la fin Duvivier, la volonté collective n’est pas si proche des idéaux du Front Populaire ; ces hommes sont centrés sur leur groupe sans aucune vision de faire le bien pour la collectivité.
La grande réussite est surtout ce vent de fraicheur qui souffle durant la première moitié du film avec des comédiens au sommet de leur art. On a envie de faire partie de la bande même 80 ans après, çà marche encore. Ce groupe respire la joie et l’énergie et l’envie d’être ensemble. Les bienfaits de l’amitié sont encensés. Le projet est un prétexte, une utopie et on le comprendra dans la seconde moitié où Duvivier va tout faire voler en éclat. L’union fait la force, mais l’argent et le destin divisent ; et la solidité apparente de l’édifice s’effrite pour laisser apparaitre les individus derrière le groupe. Et pourtant on avait adoré cette réplique de Gabin : « au fond on veut tous la liberté, mais aucun de nous peut l’avoir seul » ; et surtout on y avait aussi cru.
Enfin, la fin… voulue par Duvivier pourtant car elle prouve que le calcul et la cruauté triomphe souvent de l’amitié… me laisse plus sur ma faim que la fin heureuse saillant si bien aux années Front Populaire. Non que je condamne la vision pessimiste du groupe qui me semble pourtant plus réaliste qu’une fin béatement heureuse. Mais elle est maladroite. En terme de crédibilité tout d’abord, d’où sort ce revolver, et comment Gabin va si vite en besogne pour accomplir un acte criminel,… Et puis cette fin cadre mal avec le personnage joué par Gabin : fédérateur, il dit à Gina en la quittant que sa plus belle nuit est celle passée avec ses copains sur le toit de la guinguette pour sauver la bâtisse ; lui qui était l’alpha et l’oméga de ce projet de bout en bout ;…
Très bon moment d’histoire du cinéma français… A voir absolument.
Et pour finir la chanson du film écrite par Duvivier et incarnant si bien 1936 :
« Du lundi jusqu'au samedi pour gagner des radis
Quand on a fait sans entrain son boulot quotidien
Subi le propriétaire, l'percepteur, la boulangère
Et trimballé sa vie d'chien
Le dimanche vivement, on file à Nogent
Alors brusquement tout paraît charmant
Quand on s'promène au bord de l'eau
Comme tout est beau, quel renouveau »