En 2011, Studiocanal et la Cinémathèque de Toulouse ont pris l'initiative de restaurer le La Grande illusion en numérique. Pour ce faire, ils ont utilisé des techniques récentes : le négatif nitrate a ainsi été restauré et étalonné en 4K (format de définition d'image numérique) par le laboratoire L'Immagine Ritrovata (Bologne), de façon à retrouver une image originelle. Le son a, quant à lui, bénéficié d'une restauration particulière.
Ce serait lors du tournage de Toni, en 1934, que Jean Renoir aurait eu l'idée du scénario de La Grande illusion. Il rencontra le général Pinsard, qu'il avait connu pendant la Première Guerre mondiale. Celui-ci lui raconta ses souvenirs de pilote de chasse mais surtout de prisonnier et d'évadé. Le réalisateur s'inspira également de ses propres souvenirs de guerre puisqu'il servit comme officier en 1914-1918.
Compagnon de route du Parti communiste, Jean Renoir entend montrer dans ce film que les différences sont moins grandes entre Nations qu'entre classes sociales. Le cinéaste met ainsi en scène deux officiers de cavalerie, l'un français et l'autre allemand, qui sympathisent malgré la guerre. Le pendant de ces deux aristocrates est représenté par Jean Gabin, officier prolétaire.
Réalisateur pourtant reconnu, Jean Renoir peina à trouver un producteur pour La Grande illusion. C'est la présence de Jean Gabin qui acheva de convaincre Raymond Blondy de financer le film.
Une des légendes gravitant autour de La Grande illusion raconte que Charles Spaak, scénariste du film, aurait parlé à Jean Renoir de son scénario intitulé La Belle Equipe, l'histoire de cinq chômeurs qui gagnent à la loterie et construisent leur petite guinguette. Le metteur en scène, passionné par cette histoire, lui aurait alors aussitôt demandé d'aller à Prague proposer le scénario de La Grande illusion à Julien Duvivier (scénario qu'il venait d'achever avec Spaak). Duvivier lui aurait alors répondu : "Vous vous foutez de moi ! Une histoire de prisonniers de guerre, ça n'attirera personne ! Vous pouvez vous la mettre où je pense et je suis poli !". Résigné, c'est à ce moment que Spaak lui aurait présenté le scénario de La Belle équipe, que Duvivier réalisa en 1936. C'est ainsi que Jean Renoir aurait conservé La Grande illusion.
Marc Ferro, dans son livre Cinéma et histoire, a souligné la variation des interprétations de La Grande illusion suivant les époques. Ainsi :
A sa sortie en 1937, le long métrage est jugé comme un film de gauche pacifiste en faveur du rapprochement entre les peuples. Le personnage du juif Rosenthal est apprécié parce qu'il est censé battre en brèche les antisémites en montrant que les Juifs font la guerre comme tout le monde.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, certains journalistes se déchaînent contre le film. Le personnage cupide de Rosenthal révèle l'antisémitisme banal et populaire des Français de l'entre-deux-guerres. Les gestes d'amitié entre soldats français et allemands sont vécus comme annonciateurs du régime de Vichy et comme une invitation à la collaboration.
Il faudra attendre la Nouvelle Vague pour voir le film réhabilité et porté aux nues par des cinéastes comme François Truffaut, grand admirateur de Jean Renoir. Le jeune metteur en scène interprète alors le film de façon rétrospective, à la lumière de la Seconde Guerre mondiale. Il pense que la grande illusion est de penser en 1918 que c'est la dernière guerre. Et de citer les derniers dialogues du film :
Maréchal : Il faut bien qu'on la finisse cette putain de guerre... en espérant que c'est la dernière.
Rosenthal : Ah, tu te fais des illusions !
La Grande illusion évoque la fin du règne de l'aristocratie dans l'armée en soulignant le déclin de la cavalerie à l'issue de la Première Guerre mondiale. Les portraits croisés du Capitaine de Boeldieu et de Von Rauffenstein illustrent admirablement cette idée.
Les scènes en intérieur de La Grande illusion furent tournées aux studios Billancourt et Eclair à Epinay, celles en extérieur aux environs de Colmar et au château du Haut-Koenigsbourg. La vallée de Chamonix servit quant à elle pour les derniers plans enneigés du film.
A la sortie du film aux Etats-Unis en 1938, Jean Renoir déclara : "Parce que je suis pacifiste, j'ai réalisé La Grande illusion. Pour moi, un vrai pacifiste, c'est un Français, un Américain, un Allemand authentique". Ce pacifisme fut parfois interprété à tort comme un antimilitarisme.
Jean Gabin et Jean Renoir ont travaillé ensemble pour la première fois pour le film Les Bas-Fonds en 1936. Par la suite, leurs chemins se croiseront de nouveau pour La Grande illusion (1937), La Bête humaine (1938) et French Cancan (1955).
Le film sortit le 9 juin 1937 en France et reçut d'emblée un immense succès critique et commercial. En témoignent ces extraits d'articles :
- L'Humanité, 16 juin 1937
On sent la qualité d'émotion qui se dégage d'un tel film où tout a été traité avec une honnêteté et une franchise remarquable. Jean Renoir n'a fait aucune concession. Il a tout abordé bien en face sans se soucier d'autre chose que de vérité. Ce film d'hommes, il l'a traité en homme, en homme aux élans sûrs et directs, en homme qui ne craint pas d'être mal compris parce qu'il est lui-même sans équivoque.
- Combat, 26 juin 1937
Enfin un film, un très grand film ! Et il est français – ce qui nous change. Jean Renoir vient de nous donner son chef-d’œuvre, et un chef-d’œuvre tout court.
En 1958 à Bruxelles, une liste des 12 meilleurs films de tous les temps fut établie après une consultation internationale. La Grande illusion fut le seul film français à y figurer.
La Grande illusion reçut un accueil mitigé dans les démocraties occidentales. Tandis que le Ministre socialiste Paul-Henri Spaak (qui se trouve être le frère de Charles Spaak, scénariste de ce film) l'interdit en Belgique, Winston Churchill le condamne en Grande-Bretagne. A l'inverse, le président des Etats-Unis Roosevelt se fait projeter le long métrage le 11 novembre 1937 et déclare : "Tous les démocrates du monde devraient voir ce film".
La Grande illusion fut très apprécié aux Etats-Unis à sa sortie. Jean Renoir affirme que le bon accueil qui lui fut réservé lors de son exil Outre-atlantique en 1940 est dû à ce film.
La Grande illusion fut nommé aux Oscars dans la catégorie Meilleur film en 1939. Un fait rarissime pour un film étranger.
Après avoir tourné La Grande illusion, Jean Gabin et Pierre Fresnay se retrouveront 23 ans plus tard dans Les Vieux de la vieille de Gilles Grangier (1960).
Le décorateur de La Grande illusion, Eugène Lourié, travaillera notamment sur le dernier film américain de Charles Chaplin, Les Feux de la rampe (1952), avant de se lancer dans la réalisation. On lui doit, entre autres, Le Monstre des temps perdus (1953) et Le Colosse de New York (1958).
Jacques Becker est ici, comme dans la plupart des films de Jean Renoir, l'assistant réalisateur. Mais on peut également l'apercevoir quelques secondes dans La Grande illusion, interprétant un officier anglais qui casse sa montre.
Jean Renoir avait tout d'abord souhaité voir son frère ainé Pierre Renoir interpréter l'officier allemand, et Louis Jouvet dans le rôle de Boeldieu. Mais les deux acteurs étant très pris par leurs activités théâtrales, ils déclinèrent ces rôles.
Jean Renoir et Charles Spaak ont été attaqués en justice par l'écrivain Jean des Vallières, ancien aviateur et prisonnier, pour le plagiat de son œuvre Kavalier Scharnhorst. Trame ressemblante, même scène de prisonniers travestis, même utilisation de la chanson Il était un petit navire et de l'expression "streng verboten", entre autres coïncidences. Finalement, les deux scénaristes furent blanchis de cette accusation. A noter que l'affaire se régla toutefois par le versement à Jean des Vallières d'une somme dont le montant demeure secret.
A noter, la participation de Françoise Giroud en tant que scripte. Elle est créditée au générique sous le nom de Gourdji. On la connaît notamment en tant que scénariste pour certains films de Jacques Becker.
Suite à l'interdiction en France du film à partir de 1940 pour son absence d'idéologie patriotique, Jean Renoir prend la décision d'en modifier certains segments. En 1946, il décide de couper la scène d'amour entre Jean Gabin et Dita Parlo, ainsi qu'une autre séquence où le personnage juif de Rosenthal donne du chocolat à une sentinelle allemande. Il est vraisemblable que le couple formé par un Français et une Allemande semblait insupportable après l'occupation allemande et la collaboration. Quant à la scène de Rosenthal, elle a dû paraître antisémite. Une réédition du film eut lieu en 1958 : le montage fut assuré par Renée Lichtig.
Le titre du film a été emprunté au livre homonyme de Norman Angell datant de 1911. Cet auteur, Prix Nobel de la Paix en 1933, y développait la théorie que la guerre n'apporte aucun avantage, même aux vainqueurs.
Le projet de La Grande illusion a été bouleversé par un évènement imprévu : l'engagement d'Erich Von Stroheim par la production, sans que Renoir en ait été informé au préalable, pour un rôle qui alors n'existait pas. Il se trouve que Jean Renoir entretenait une grande admiration pour l'acteur Erich Von Stroheim ("son dieu") et en particulier pour son film Folies de femmes. Il accepta donc le choix du producteur Raymond Blondy.
Le jury du Festival de Venise (1937) n'osa attribuer que le prix de la Meilleure contribution artistique à La Grande illusion. Mais cette récompense provoqua tout de même la colère des autorités mussoliniennes et nazies. Le film fut même censuré en Italie et en Allemagne.