Grand classique du cinéma français reconnu à l'international, La Grande Illusion s'inscrit aux côtés du Dictateur de Charles Chaplin dans la liste des films pacifistes de l'entre-deux-guerres et du début de la Seconde Guerre mondiale.
Porté à l'écran par l'illustre Jean Renoir, ce film, abusivement cantonné à la catégorie du "film de guerre", est en réalité bien plus que cela. La Grande Illusion est surtout un tableau des différences entre les classes sociales, souvent plus virulentes que celles qui opposent deux pays pourtant en guerre. C'est aussi l'illustration du changement profond qui s'opère au sommet de la hiérarchie militaire, avec le déclin du pouvoir des aristocrates. Cette thématique sociale prépondérante est probablement influencée par la proximité de Renoir avec le milieu de la gauche française, que ce soit le Front Populaire de Léon Blum ou le PCF. Quoiqu'il en soit, le traitement osé de ce sujet dans un contexte belliqueux qui le surpasse présente un intérêt historique incontestable.
La genèse de La Grande Illusion prend essentiellement ses racines dans les récits d'évasion du général Armand Pinsard, que Renoir connait intimement depuis la Première Guerre mondiale et qui devient, pendant la guerre suivante, une triste figure de la collaboration avec Vichy et le régime nazi.
Le titre du film, inspiré du roman homonyme paru en 1910, insiste sur l'absurdité de la guerre et prône le pacifisme dans un contexte de tensions croissantes en Europe. En témoigne la réception du film : censuré dans l'Allemagne nazie et l'Italie Mussolinenne, interdit en Belgique, rejeté par Churchill. Néanmoins, Roosevelt déclare solennellement que "tous les démocrates du monde devraient voir ce film", une phrase que l'on pourrait prononcer à quiconque n'ayant pas encore vu ce grand classique de le convaincre de le faire. Et fort heureusement, le président américain de l'époque n'est pas le seul à l'avoir apprécié, puisque son succès au box-office français est incontestable, tout comme celui d'outre-Atlantique, avec une nomination exceptionnelle à l'Oscar du meilleur film pour l'année 1939. Mais il est également important de noter le changement total d'opinion en France quelques années plus tard seulement, en pleine Occupation, où les valeurs de paix et de fraternité entre les peuples furent, pour Vichy, des motifs pour censurer cette oeuvre et l'interdire. En effet, on ne pouvait alors pas accepter un film ne prônant pas le patriotisme, un argument avancé par des critiques qui semblent avoir oublié la scène de la Marseillaise dans le premier camp de prisonniers. Mais ne parlons même pas de l'Allemagne nazie qui chercha même à détruire toutes les copies existantes du film. Il faut attendre le mouvement de la Nouvelle Vague pour que le film soit réhabilité, principalement grâce aux efforts de François Truffaut, admirateur de Jean Renoir. Depuis, considéré comme un chef d'oeuvre mondial, il est l'un des rares films entrés dans les collections permanentes du Museum of Modern Art de New York.
Enfin, l'affiche présente plusieurs noms sur lesquels il est intéressant de s'arrêter. D'abord, Jean Gabin bien sûr, le colosse aux pieds d'argile récemment hissé au rang de "star de cinéma". A ses côtés, l'air grave et la fraîcheur juvénile de Dita Parlo apportent une parenthèse apaisante et réconfortante à travers son rôle dans la peau d'une généreuse veuve allemande. Parmi les autres rôles principaux, on pense à celui, convaincant, de Marcel Dalio, sans pouvoir oublier la menace nazie qui le poussera quelques années plus tard à quitter l'Europe et à subir des attaques antisémites de la part du Reich allemand. Il est également important d'évoquer les deux aristocrates mélancoliques interprétés par Pierre Fresnay, dont c'est l'un des principaux rôles de sa carrière, et Erich von Stroheim, ancien réalisateur de films muets également consacré par sa prestation au service de Renoir.
Cependant, la dimension comique et légère de la première partie du film peut laisser perplexe et interroger sur la pertinence d'un tel récit, surtout dans un camp de prisonniers en pleine Seconde Guerre mondiale. Heureusement, les deux parties suivantes, qui prennent place au château du Haut-Kœnigsbourg et dans la vallée de Chamonix, apportent le sérieux d'une atmosphère plus réaliste en temps de guerre.
Enfin, au niveau de la bande-son, on peut également plusieurs musiques célèbres dans les années 1930, ce qui peut permettre aux générations suivantes de s'initier à ces grands classiques de l'époque.