Au cours de la Grande Guerre, celle-là même qui redistribua les cartes sociales dans la dorénavant vieille Europe, Jean Renoir relate l’intrigue de deux hommes, dissemblables en termes de classe sociale, qui partagent l’ambition de s’échapper des camps de prisonnier dans lesquels ils sont retenus. «La Grande Illusion» (France, 1937) peut très aisément satisfaire un public populaire grâce à la vivacité toute renoirienne des dialogues et de l’agencement des séquences. Rien ne sert de commenter un tel procédé puisque, deux ans plus tard, Renoir réalisera «La règle du jeu», bien plus enclin à développer ce discours. «La Grande Illusion» dresse le plateau de «La Règle du jeu» puisqu’il préfigure la grande thématique qui agit tous les actes du film de 39 : la lutte des classes. L’amitié liminaire d’un capitaine noble, de Boëldieu, et un lieutenant ouvrier, Maréchal, se brise au profit d’une sorte de «passation de pouvoir» entre l’aristocratie bourgeoise et le milieu prolétaire. Lorsque Maréchal s’enfuit avec son nouvel ami Rosenthal, un juif riche, de Boëldieu se sacrifie en se faisant tuer par un compagnon noble allemand. Au-delà des apparences authentiques qui habitent «La Grande Illusion», réside toute une pensée, toute la scénographie politique du monde selon Renoir. Cette dernière, à l’orée de la seconde guerre mondiale, rejoint les mouvements politiques qui s’y produisent. La moitié du XXème siècle, date pivot dans toute l’histoire de l’Humanité, réagit aux bouleversement sociaux que Marx avait déjà préfiguré. Renoir, dans une mise en scène aussi fluide qu’on peut lui connaître, organise ces flux sociaux et politiques au sein d’un film de guerre qui tend vers l’unique but de s’échapper, autrement dit vers un désir d’émancipation. Lorsque, dans le dernier plan, s’enfuient au loin, dans une neige immaculé, les silhouettes d’un ouvrier et d’un nouveau bourgeois, ce sont les figures de l’avenir de notre histoire qui se dessinent à l’horizon.