Voici un classique qui n'a rien de classique. Avec ce film, Fellini rompt définitivement avec le néoréalisme de ses débuts et laisse libre cours à une imagination plus baroque, plus fantasmatique. Il met ici en images la confusion qui règne dans la tête d'un cinéaste impuissant, son double. Trois ans après La Dolce Vita, le réalisateur traversait effectivement un désert créatif. Son talent, paradoxal, a été de trouver l'inspiration dans ce manque d'inspiration, de faire un film sur l'incapacité à faire un film... Mise en abyme et autobiographie. Fellini zappe entre réalité et imaginaire. La présence, soûlante et parasite, de son entourage proche se mêle aux cauchemars et hallucinations. Les visions du passé, les problèmes de couple, les vérités et mensonges, les grandes questions sur l'art, la politique, la religion se fondent en un maelström d'angoisse, de culpabilité, de lassitude. Il y a là une virtuosité tournoyante, bien servie par un superbe noir et blanc, et bien accompagnée par la célèbre musique de Nino Rota. Mais le principe même de narration, débridé, est aussi particulièrement déroutant. Si l'on est saisi par les cauchemars du début, admiratif devant la scène du harem, amusé par la représentation du désir sexuel (femme-monstre, plus que plantureuse), il n'en est pas moins difficile de ne pas se perdre et de ne pas lâcher prise, parfois, sur la longueur.