On suit une tranche de la vie de Vittoria (Vitti, sublime), et sa rencontre avec Piero (Delon). Le film obéit à une dialectique entre monde intérieur et extérieur; dialectique déséquilibrée car l'âme se meut (gaieté, étonnement, amour...) dans un monde qui reste froid. Il ne s'harmonise pas avec les affects des hommes, mais reste dur, massif, géométrique (échaffaudages, grilles...). Il arrive pourtant qu'il entre en résonnance avec la vie: les arbres frémissent quand y passent les amants et on traverse un nuage en riant. Vittoria tentera d'imprimer sa marque dans les lieux où elle passe et rencontre l'homme qu'elle aime: ne serait-ce qu'en laissant flotter, dans un fût dérisoire, une pièce de bois, rompue lors du premier baiser. L'eau dans laquelle elle fait glisser ses doigts est comme la mince couche du réel sur lequel l'homme a prise, un point de contact entre l'âme et les choses. À côté de cela, frénésie de la corbeille, où l'on achète et vend en criant: aspect documentaire, dans la tradition réaliste italienne, produisant une rupture avec le caractère contemplatif du film. Ici s'illustre Piero, courtier, jusqu'à ce que, tombant amoureux de Vittoria, se révèle l'absurdité de son existence. Deux modes de vie s'opposent: une existence s'épuisant dans une activité stérile et une existence dont la « norme » est la vie intérieure. L'amour, apparaîtra pour la première comme un salut; mais le temps fait disparaître le noble comme le vil. Si l'affadissement de l'amour ne nous sera pas montré, son extinction inévitable sera signifiée, par contraste, par la subsistance rigide et indifférente de la ville et du monde des choses. Mais aussi bien, verra-t-on dans ce film le « malaise moderne ». Vittoria erre, indécise, sans se projeter vers l'avenir ni disposer de liens réels avec qui ou quoi que ce soit: elle est une déracinée, sans giron familial ou communautaire, dans un monde où « Dieu est mort ». L'Eclipse réunit les plus hautes exigences de l'art: la beauté et l'esprit.