Del Toro est l'exemple type du réalisateur d'origine non américaine qui, après sa consécration à Hollywood, s'entache du style USA au niveau formel, c'est à dire structure de la narration et cadrage des plans, en ce qui concerne l'Echine du diable, quitte à renier le milieu hispanique au sein duquel il a vu le jour. Chose ni bonne ni mauvaise, et moi, ma foi, j'aime bien. A l'instar d'un Romero qui synthétise à la perfection le classicisme du cinéma d'horreur américain avec les excès graphiques italiens, Del Toro insuffle un thème historique déployant de violentes critiques espagnoles dans un synopsis banal de fantôme. Ici, l'alchimie est plaisante, quoique un peu balourde parfois. Ainsi il y a des présentations, une avancée convenue et c'est parfois un peu longuet. C'est le « bad effect » de l'influence américaine, le « good effect » étant quelques morceaux d'angoisse bien fichus qui donnent la tremblote (la toute première nuit étant une entrée en la matière particulièrement éprouvante). En effet, l'aspect fantastique de l'Echine du diable fonctionne très bien, tout en étant par moment très drôle (on se souvient encore de l'humour bienveillant de Cronos). Mais le film n'aurait pas été suffisamment rempli pour se distinguer de la masse rien qu'avec ça. Le cadre de la guerre espagnole l'épaissit considérablement, jusqu'à en occulter le fantastique lors de la dernière partie, ce dernier se révélant au final comme étant symbolique. L'horreur suprême, c'est avant tout celle de la guerre ; le fantôme, lui, n'en est qu'un des rejets. Et Del Toro n'hésite pas à nous coller des plans d'une brutalité effroyable, mettant en scène la destruction d'un établissement catholique (on revoit encore ces faces d'enfants tâchées de sang coagulés), les travers de ses occupants (sexe, trahison...). Les personnages sont bien interprétés, Frederico Luppi se révèle encore meilleur que dans Cronos en professeur trop plongé dans sa science et incapable d'achever la mise en œuvre des décisions inéluctables que la réalité impose. Les acteurs des enfants ne se débrouillent pas trop mal, le rôle de Carlos étant balayé par celui de Jaime, quant à Jacinto, Eduardo Noriega a tendance à en faire un peu trop, et frôle le ridicule. La qualité photographique s'est améliorée depuis Cronos, en revanche Del Toro use moins de plans longs et large, et personnellement j'éprouve plus de satisfaction face au cadrage de Cronos. Un petit côté risible fait surface par moments (les gosses qui se préparent à lutter contre 3 adultes capables de tuer en taillant des bâtons...), mais on peut passer outre étant donné l'humilité de l'ensemble. Sauf sur le duel de la fin, dérangeant et choquant autant que grotesque. A ne pas s'y méprendre : il s'agit d'une conclusion intelligente sur ce que les situations saugrenues engendrés par la guerre. Une brillante réussite, qui sera réitérée avec une efficacité décuplée avec le fabuleux Labyrinthe de Pan quatre ans plus tard.