« Traître sur commande » (1970) se situe au mitan de la carrière (27 films en 33 ans) de Martin Ritt, réalisateur connu pour ses convictions sociales et politiques humanistes. Les terribles conditions de travail des mineurs de Pennsylvanie conduisirent au détour des années 1850 à 1870 à la constitution de ligues secrètes armées (« Les Molly Maguires », titre original du film), répondant par la violence au refus permanent de l’action syndicale par les Présidents des compagnies houillères. Une guerre sans merci s’engagea alors ayant tout à voir avec la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Tous les moyens furent bons notamment l’infiltration de faux mineurs chargés d’accumuler les preuves à défaut de surprendre le flagrant délit. Le tout se soldera
par la pendaison de vingt mineurs et l’emprisonnement de plusieurs dizaines d’entre eux
. C’est cet événement tragique et peu glorieux que Martin Ritt s’inspirant d’un roman d’Arthur H. Lewis adapté par Walter Bernstein, entend porter à la connaissance du public avec le plus de précision et de réalisme possibles. Lui-même producteur, il obtient de la Paramount un budget conséquent qui lui permet de tourner sur le site historique (Eckley) et de s’adjoindre la collaboration de Sean Connery et de Richard Harris. Sean Connery qui à près de 40 ans aborde la fin de sa période James Bond, continue d’alterner films commerciaux et films plus personnels qui l’ont vu tourner sous la direction de Sydney Lumet, John Huston, John Boorman ou ici Martin Ritt. Richard Harris quant à lui, né en Irlande comme les mineurs du film, vient de connaître un succès inattendu avec « Un homme nommé cheval » (Silvio Silverstein en 1969), western bucolique iconoclaste dans la lignée de « Little big man » d’Arthur Penn tourné la même année. Les deux hommes dont le cachet va manger une bonne partie du budget de tournage se fondent entièrement dans la vision de Ritt. L’un dans le rôle du meneur (Sean Connery) l’autre dans celui de l’infiltré (Richard Harris). Le ton est donné d’emblée par Martin Ritt qui filme durant 14 minutes sans aucune parole les hommes au travail, donnant à voir ce qui apparente quasiment les mineurs à des forçats. En silence, les hommes vont et viennent pour extraire puis transporter le charbon. On dit souvent que le malheur soude les hommes. C’est exactement ce qui transpire de cette ouverture grandiose de simplicité. L’arrivée sur place du traître n’est pas vécue comme une surprise, les mineurs connaissant parfaitement les méthodes iniques de leurs employeurs. James McParland (Richard Harris) détective à la solde d’un gardien zélé (Frank Finlay impeccable) devra donc passer sur un banc d’essai particulièrement rugueux avant d’acquérir la confiance du petit groupe de Molly Maguires qui ont décidé de passer par les armes pour faire plier l’échine à leurs exploiteurs. Des hommes qui n’ont pas grand-chose à perdre, n’ayant pour seul horizon que la silicose s’ils parviennent à échapper au coup de grisou fatal qui les guette à chaque descente dans ces trous de l’enfer. Avec peu de mots et juste ce qu’il faut de retournements de situations pour maintenir le suspense, Martin Ritt n’omet rien des enjeux en présence, brossant avec minutie le portrait de vies dont ceux à qui elles appartiennent se demandent souvent si elles valent le coup d’être vécues. L’église du village leur inculquant le fatalisme comme condition d’une hypothétique vie meilleure ajouté à leurs responsabilités familiales, incite la plupart à la passivité. Mais comme dans tout groupe humain, quelques-uns, pourtant conscients des risques, se rebellent comme ces Molly Maguires auxquels Martin Ritt, accompagné de ses deux acteurs principaux mais aussi d’Henry Mancini et de James Wong Howe chef opérateur sur « Shanghaï Express » (Josef Von Sternberg en 1935), rend un vibrant hommage. A leurs côtés, la toujours parfaite Samantha Eggar, Anthony Zerbe, Frank Finlay et John Alderson. Neuf ans plus tard avec « Norma Rae », le réalisateur toujours engagé montrera à travers le destin d’une petite ouvrière pugnace (Sally Field) que cent ans après l’incident des Molly Maguires, le combat pour la dignité au travail est toujours d’actualité. Martin Ritt, un réalisateur qui sans être un génie a toujours su mettre sa caméra au service de ses convictions sans jamais être pesant ni sentencieux. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas, notamment en ce début de XXIème siècle qui offre tout de même quelques très belles surprises comme « The Rider » (2017) et « Nomadland » (2022) de Chloé Zhao, une jeune cinéaste chinoise émigrée aux Etats-Unis qui en sus de convaincre pleinement, le fait avec une virtuosité rarement atteinte si précocement.