Rattrapage n'est pas forcément le corolaire de réhabilitation. En ce qui concerne The Offence, c'est plus compliqué. Tourné en 1972, le film va mettre 34 ans pour atterrir sur les écrans français. Étonnant, voire choquant. On parle d'un Sidney Lumet, qui plus est avec Sean Connery. Eh bien la réponse se situe précisément sur ce dernier point, dans une illustration parfaite de ce qu'on appelle le revers de la médaille.
Début 70. Le successeur George Lazenby n'a fait que passer. Dans l'inconscient collectif, James Bond porte toujours le visage de Sean Connery. En acceptant de reprendre le rôle (à la grâce d'un juteux contrat + le soutien financier sur 2 films indépendants), l'acteur créé et scelle le destin du film de Lumet à son corps défendant. Additionnez film noir, sujet épineux de la pédophilie et un rôle à l'opposé du héros flegmatique, et allez vendre ça... Aujourd'hui comme hier, le défi pourrait déclencher quelques crampes d'estomac chez les décideurs. Et là, on ne parle que de la surface...
Au gré de ses inestimables contributions au 7ème Art, Sidney Lumet s'est évertué à regarder les angles morts de nos principes moraux (sur le terrain de la justice et de la politique). Avec The Offence, il nous amène ici au bord du précipice pour regarder l'abime. En retour, il laisse l'abime regarder en nous. Le résultat est instantané, dès le premier photogramme. Introduction au ralenti, image légèrement distordue comme si un fondu avait merdé ou que la pellicule avait été altérée, bande-sonore dissonante composée de bruits blancs et d'effets stridents (un procédé qui se reproduira en cours de route avec les souvenirs). Quelque chose cloche. La suite ne va faire que le confirmer.
L'aspect thriller est globalement secondaire, seul l'examen de ses personnages comptera. Plus le film avance, moins on y voit clair. Pour bien d'autres, ce serait un défaut. Mais pas celui-là. Lumet répète, remanie, instaure, inverse, pendant ce temps le trouble augmente. Sean Connery ne s'y est pas trompé et livre ce qui restera l'une des compositions les plus impressionnantes. Il pulvérise méthodiquement la moindre parcelle de Bond (le beau parleur, le castagneur), n'en reste qu'un homme cabossé, meurtri, attendrissant, inquiétant, ambigu.
Chaque personnage se dessine progressivement. Tandis qu'ils évoluent, le spectateur sera laissé comme seul juge de leur rôle et leurs actes dans cette affaire. C'est le cas de Trevor Howard, épatant. Mais encore plus de Ian Bannen, dont le bras de fer psychologique avec Sean Connery culmine dans un sommet d'inconfort. Le long-métrage a peut-être une fin, mais il est de ceux dont vous rapporterez quelque chose chez vous. Le doute. Pour un public habitué à ressentir une forme d'accomplissement à chaque Bond, c'était peut-être un peu trop demandé. Mais une très mauvaise raison pour ne pas l'y pousser.