Il y a eu deux films sur Cuba en 1990 : Havana & Adieu Cuba. Si ce dernier, réalisé par le Cubain Andy García, n’est sorti qu’en 2005, sa genèse remonte en effet aussi loin que celle du film de Pollack & ils sont frères siamois de traitement : La Havane chaleureuse, facile à détourer, dont on tire l’exotisme génétiquement proche de celui de Floride, La Havane où les Américains viennent car c’est littéralement le paradis acheté par le capitalisme (ah, il y a des communistes ? Zut alors), La Havane surtout dont le rôle est tenu par Saint-Domingue car les Cubains boudaient encore leurs voisins & leur refusaient les droits de séjour & de tournage. Understandable, have a good day.
Deux longs films comparables aussi par le scénario insinué dans seulement quelques jours de transition politique, une révolution que, pour le coup, Pollack feuillette rapidement – pour Redford, la balle dans le pire-brise était juste un gros insecte & il se remettra des tirs de mitrailleuse avec une cigarette. Okay ?
Admettons qu’il fallait bâcler au moins un truc puisque le défi était de s’attaquer à un pays en effervescence, un pays tout en musique arraché soudain à son statut de paradis par des révolutionnaires prônant l’Autre Système™ – ce tiraillement b(r)ouillonnant, lié à des cohabitations aussi explosives que diverses (luxe & pauvreté, Américains à la recherche de frisson & répression politique, casinos & torture), c’est ce que Pollack traite de mieux quoique sans aucune vulgarisation. Il se complaît vraiment dans son film de gangsters ensoleillé avec de gros décors, beaucoup de costumes & un petit fond historique – il mérite en ça d’avoir doublé Garcia pour titrer son film au plus évident (The Lost City, c’est lourdement périphrastique, hein Andy ?).
Avec des cadrages obsessionnellement propres & quelques entrelacs scénaristiques à peine noueux, Havana est une production presque trop digne mais immersive & vigoureuse. Finalement, c’est Redford lui-même qui est déplacé dans La Havane – ce semi-James Bond se pavane avec son sourire charmeur & il joue aux cartes. Personnage choisi comme par hasard, il incarne le péon dans une machine historico-politique énorme & cela aurait eu beaucoup de sens si on ne lui avait pas donné un rôle à jouer sous prétexte que son génie au poker lui achète des faveurs auprès des puissants. Il s’en sert pour poursuivre une idylle dont il nous convainc assez peu de l’importance.
Redford aurait pu être n’importe qui, mais Pollack a préféré en faire un gros grain de sable à qui tout le monde semble être juste assez gentil pour donner la réplique. Bizarrement, on peut presque l’ignorer en tant que personnage principal, ce qui fait que ce n’est pas si grave s’il est un peu raté. Il n’est que les yeux par lesquels on voit la ville, & sa résilience déplacée devient un simple show comme La Havane en offre tant aux Américains. On peut le regarder s’effacer pendant deux heures & demi devant les rues de la ville & profiter de tout ce qui le fait s’agiter. C’est un procédé comme un autre, mais c’est peut-être bien sa faute si l’œuvre cède à Adieu Cuba la meilleure place critique.
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