« You follow ? »
Après avoir vu l’éblouissant Arnaqueur, avec Paul Newman, je ne pouvais pas rater l’Arnaque, avec Paul Newman. Et Robert Redford.
Ce duo formé par deux acteurs de légende, l’un déjà bien implanté dans l’inconscient collectif, l’autre s’y installant, a été considéré a posteriori comme exceptionnel… notons que Borsalino, film français de Jacques Deray était déjà sorti depuis 3 ans. Ce duo ne serait cependant pas complètement parfait sans un troisième acteur, hélas beaucoup trop rare, Robert Shaw et sa pointe d’accent mancunien (fabuleux dans le rôle du Shériff de Nottingham, La rose et la Flèche, Richard Lester, 1976). Notons également les rôles secondaires, en particulier Eileen Brennan et Dimitra Arliss, loin des standards hollywoodiens classiques.
Passons l’anachronisme et intéressons-nous à l’oeuvre en elle-même. Au premier abord, on sera surpris par les audaces dans les prises de vue de George Roy Hill, tantôt impertinentes et novatrices, tantôt plus bancales. Le jeu de Redford, pas encore complètement posé, hésite lui aussi, entre la maladresse et la maîtrise, tandis que celui de Newman est déjà solidement établi. Pour l’anecdote, il est amusant de constater que l’acteur qui transpira la virilité par tous les pores serait aujourd’hui considéré comme un bisounours, un activiste woke, par ses prises de position.
La musique, dont le thème est un ragtime inoubliable sitôt qu’on l’a entendu et qui a servi à une quantité impressionnante de génériques, épouse à la perfection la reconstitution du Chicago de la Grande Dépression (avec la gare, scène reprise dans les Incorruptibles de De Palma), costumes compris. Une scène de poursuite, d’ailleurs, semble avoir influencé Morricone pour le film de De Palma. Plusieurs scènes muettes sont par ailleurs un hommage flagrant au cinéma des années ‘30.
Enfin, le scénario. Si les dialogues sont vifs ou à d’autres moments très techniques, certaines scènes sont d’anthologie, comme celle de la partie de poker dans le train. Tout l’attrait du film réside dans la mise en place et la concrétisation de l’arnaque, un ensemble de rouages et de mises en scène qu’on comprend au fur et à mesure même si on se demande toujours ce qui est voulu ou ce qui relève de l’obstacle imprévisible.
Au final, si le film est un tout petit peu lent au démarrage, il est aussi une exceptionnelle mise en abyme cinématographique, une œuvre ancrée dans son époque, relatant une autre époque et liée à l’histoire du cinéma. Un régal total pour cinéphiles avertis mais aussi un spectacle intelligent pour amateurs, amatrices, au sens noble du terme. Un chef d’oeuvre.