Le Molière de Mnouchkine reste un bon film s'il se veut édifiant et pédagogique. Mais si l'on demande plus à une oeuvre traitant d'une figure aussi complexe et problématique que ne l'est celle de Molière, alors ce long-métrage n'est pas sans poser quelques exaspérations. Certes, les intentions sont louables : faire connaître, du moins rendre compte, de ce que fut le XVIIe siècle du début de Pierre Corneille jusqu'au début du règne louis-quatorzien. La réalisatrice parvient globalement à illustrer cette réalité sociale, de cette misère française où la réalité historique n'est pas seulement du côté du roi, de la cour ; c'est aussi celle de la rue et du peuple. De cette idée, nous comprenons l'aspect implicite, pour ne pas dire politique, de cette biographie. Sauf que cette position critique a ses revers. En effet, il est regrettable que le peu de nuance accordé à l'historicité de la vie de Molière sous l'Ancien Régime - la Compagnie du Saint-Sacrement caricaturale, le cas jansénisme à peine évoqué, faussent la compréhension du poids religieux - ne permette pas une reconstitution historique et politique à la hauteur des ambitions d'une telle oeuvre. A force d'orienter son discours, la réalisatrice propose un exercice dangereux, condamnable sur le plan de la compréhension et de la réstitution des idées. La première partie, qui n'a quasiment aucun intérêt si ce n'est dans son message social, est bien trop longue, alors que la seconde partie est bien trop courte, notamment dans l'ascenssion assez floue de Molière chez Louis XIV. De plus, il est inacceptable de la part de madame Mnouchkine de résumer l'oeuvre de Molière sous Louis XIV avec la seule illustration du Tartuffe. Et la Princesse d'Elise, les divertissements de Versailles ? Qu'en fait-on ? Doit-on montrer une seule partie de l'oeuvre de Molière qui, dans la construction post républicaine de sa figure, a fait le choix d'ériger un faux Molière ? Nous sommes là dans un vieux discours de la IIIe République. A contrario de ce que nous montre le film, Molière n'est pas un athéiste. Libertin, peut-être, il n'est pas pour autant un Diderot avant l'heure. Nous comprenons alors le danger - non pas politique mais intectuel - dans sa recherche de la vérité : Mnouchkine persiste à peindre un Molière qui n'existe pas. Le peindre dans sa complexité serait alors plus pour l'opinion. Cette complexité est peut-être plus à chercher du côté du Misanthrope. En outre, les relations de pouvoir si complexes entre Louis XIV et Molière sont occultées, les personnages annexes caricaturés : Lully est une sorte de pantin ridicule, Louis XIV un roi absent, c'est-à-dire tout son contraire, et Descartes, dans la première partie, devient une sorte de libéral avant l'heure. Bref, le film est une orientation post républicaine du XVIIe siècle français. La République française mérite bien mieux. Le film est donc aussi louable qu'inutile. La littérature, la philosophie et les arts au XVIIe siècle ne peuvent être compris que sous un spectre idéologique mêlant Histoire, religion et métaphysique. A défaut de pouvoir le faire, car nous sommes au cinéma, cette biographie de Molière incarne finalement un académisme social, complaisant, objectivement faussé par son subjectivisme, par un discours sentimental et romantique. Molière, que nous avons construit au nom de notre République, mérite mieux que cela. N'en voulons pas à Mnouchkine : elle a fait le devoir d'une société médiocre incapable d'assumer la riche complexité de son Histoire. Il n'en reste alors qu'une oeuvre parfois belle, momentanément amusante, des fois touchante par son propos, mais intellectuellement décevante. Pour une prochaine fois, espérons-le.