Adaptation au cinéma du roman autobiographique de Christophe Boltanski, « La Cache » est une sorte de comédie douce-amère, très déroutante parfois sur le fond comme dans sa forme. Le réalisateur, Lionel Baier, a quelques bonnes idées de réalisation ludique, presque façon « Michel Gondry » par moment. Quand les personnages sont en voiture, le fond du paysage défile sous l’apparence de diapositives par exemple, ou bien il joue le trompe l’œil entre la voiture familiale et la petite voiture de Christophe. Parfois c’est réussi, parfois c’est juste gratuitement bizarre, à la limite du surréalisme. Mais pourquoi pas, après tout le film se déroule en mai 68, c’est l’époque où jamais pour être surréaliste ! La musique est agréable, un peu jazzy, avec au milieu du film une séquence de comédie musicale en hommage à Jean Yanne, c’est drôle, c’est encore une fois très décalé. Le long métrage dure 90 minutes, ce qui est court selon les standards du moment. Et s’il parait durer longtemps, ce n’est pas à cause du rythme ou de la forme d’une façon générale, c’est plutôt à cause d’un scénario décousu. Le film est adapté d’un roman que je n’ai pas lu, et il ne me donne malheureusement pas envie de le lire. Le film (comme le roman aussi, j’imagine) s’éparpille façon puzzle, en voulant s’attacher à raconter plein de petites histoires il ne fait qu’effleurer la vraie dramaturgie, celle du personnage d’Etienne Boltanski, le grand père. La grand-mère est handicapée
(elle ne l’était pas en 1942, un court flash back nous le prouvera), que lui est-il arrivé ? On ne le saura pas.
Le fils n°2 et le fils n°3 vivent encore chez leurs parents : artiste maudit, universitaires verbeux et déconnecté de la réalité, leur personnage ne sera pas plus développé que cela. Tout ce petit monde vit dans le grand appartement (et dors dans la même pièce) et a visiblement érigé l’étrange en mode de vie : l’un mange au petit déjeuner des sardines à la chantilly, l’autre fait du thé dans sa voiture en branchant la bouilloire à l’allume cigare, tout est étrange. Toutes ces bizarreries masquent le vrai intérêt du scénario : la Cache. Elle donne son nom au film mais elle n’est pas réellement exploitée par le scénario.
Etienne est médecin et il a une peur panique du sang, on se doute qu’elle n’est pas innée (sinon comment faire des études de médecine ?) alors elle prend surement racine sous l’Occupation. Il se cache sous la table quand il voit de la violence, il est pétrifié quand il entend détonations ou coups de feu, tout ça n’arrive pas pour rien. Quand arrive le flash back de 1942 on se dit qu’enfin, le film va prendre corps, et ce qui se noue autour de cet escalier va se dénouer, que le film va prendre de l’épaisseur ! Sauf que non, le soufflet retombe immédiatement. L’arrivée dans la famille Boltanski d’un personnage improbable, leur demandant de l’aide pour échapper aux émeutes, là pour moi, c’est trop ! Trop bizarre, trop surréaliste, trop improbable, trop quoi…
En fait le scénario n’a pas de colonne vertébrale, il raconte quoi, au juste ? On a bien du mal à le dire clairement. Sans être toutefois un mauvais film, « La Cache » est un film qui n’aura pas fonctionné sur moi, tout simplement. C’est un peu dommage car le casting est irréprochable : Dominique Reymond, William Lebghil ou encore le jeune Ethan Chimienti incarne leur personnage avec conviction mais c’est évidemment de Michel Blanc que je veux parler. C’est l’un des derniers films qu’il a tourné, et son personnage est sans doute le plus profond, le plus prometteur du film. Quel dommage de ne pas avoir plus capitalisé sur lui, quel dommage de ne pas avoir vraiment raconté son histoire à lui. Les quelques passages où on devine son traumatisme
(dans le restaurant notamment)
sont les plus touchantes. Pas juste parce que c’est Michel Blanc et qu’il va nous manquer, mais parce que pour incarner la fragilité et l’intériorisation des sentiments, il était l’un des meilleurs. « La Cache » est une expérience de cinéma un peu foutraque qui n’a pas eu sur moi l’effet escompté. Peut-être suis-je un peu trop « terre à terre » pour ce cinéma de rêveur et de poète ?