Georges Franju était un réalisateur très à part dans l'univers du cinéma français de l'après-guerre. Passionné de cinéma, il fut d'abord compagnon de route d'Henri Langlois lors de la création de la Cinémathèque française en 1936, avant d'aborder la réalisation de courts-métrages où son style très réaliste fit sensation notamment quand en 1949 avec "Le sang des bêtes", il plongea avec sa caméra dans l'antre des Abattoirs de La Villette afin de montrer l'envers du décor de la chaine alimentaire. Quand il passa à la fiction et aux longs métrages en 1958 avec "La tête contre les murs" inspiré du roman d'Hervé Bazin, la veine documentaire était encore bien présente. Mais rapidement à la suite, il montra un intérêt court mais fulgurant pour le fantastique avec "Les yeux sans visage" (1960) qui reste encore aujourd'hui son œuvre emblématique car inscrite à jamais au panthéon des films fantastiques français. "Judex" sorti en 1963, est incontestablement un hommage appuyé au cinéma muet auquel Franju était particulièrement attaché, ayant contribué avec Langlois à en sauvegarder de nombreux témoignages. En 1916, Louis Feuillade qui était alors le plus grand réalisateur français, imagine avec Arthur Bernède pour faire suite à sa série à succès des Fantômas, un mystérieux justicier, sorte de Robin des bois des temps modernes qui s'attaque de manière récurrente au banquier Favraux, symbole de la prévarication inhérente au monde de la finance. Sommé de rendre les sommes indûment amassées, le banquier est la cible privilégiée de Judex. L'adaptation étant écrite par Francis Lacassin, spécialiste de bandes dessinées et par Jacques Champreux petits-fils de Louis Feuillade mais aussi fils de Maurice Champreux qui réalisa en 1933 "Judex 34", les choses semblent entre de bonnes mains. Scrupuleux de rester dans l'esprit du feuilleton initial, Franju livre un petit film charmant, plongeant le spectateur au début du XXème siècle quand les automobiles démarraient encore à la manivelle et roulaient sur des routes à peine carrossables. Epoque aussi des écrans de cinéma réduits, du noir et blanc granuleux et des panneaux joliment écrits assurant la transition entre les scènes pour pallier à l'absence de dialogues. L'intrigue relativement simple offre son lot de rebondissements empreints d'une bonne dose de mystère naïf, même si certaines ellipses narratives peuvent paraitre un peu hasardeuses ici ou là. Les acteurs semblent ravis eux aussi de se plonger dans le cinéma de leurs aînés. Franju visiblement se fait plaisir et à nous aussi avec cet exercice de style nostalgique et raffiné, témoin de son grand respect pour ceux qui l'ont précédé.