Loin du rêve promis
Le réalisateur cambodgien Rithy Panh a lui-même échappé aux terribles camps de la mort des Khmers Rouges alors qu'il n'avait que 15 ans. Alors, on ne peut nier le réalisme et l’authenticité du récit qui nous est proposé ici durant 112 minutes, sans doute un peu trop longues à mon goût. 1978. Depuis trois ans, le Cambodge, devenu Kampuchéa Démocratique, est sous le joug de Pol Pot et ses Khmers rouges. Le pays est économiquement exsangue, et près de deux millions de Cambodgiens ont péri dans un génocide encore tu. Trois Français ont accepté l’invitation du régime et espèrent obtenir un entretien exclusif avec Pol Pot : une journaliste familière du pays, un reporter photographe et un intellectuel sympathisant de l’idéologie révolutionnaire. Mais la réalité qu’ils perçoivent sous la propagande et le traitement qu’on leur réserve vont peu à peu faire basculer les certitudes de chacun. De ce réalisateur, témoin précieux de l’histoire de ce pays martyr et pourtant oublié par la communauté internationale, j’avais déjà vu S21, la machine de mort Khmere Rouge et surtout, en 2012 : Duch, le maître des forges de l’enfer. On peut penser que cette fiction referme la trilogie.
Ce film est adapté du livre de la journaliste et correspondante de guerre américaine Elizabeth Becker où elle tente d’expliquer pourquoi les Khmers rouges imposèrent à leur pays un régime aussi destructeur. Ce qui frappe ici, c’est le silence. Où sont passés les gens ? Le génocide, c’est aussi le silence. On ne voit rien, on n’entend rien. La ville de Phnom Penh, vidée de ses habitants et totalement silencieuse, témoigne d’un anéantissement absolu. Plus d’écoles, plus de marchés, plus de spectacles, plus de musiques, plus de danses… Il y avait là un formidable sujet, glaçant, terrifiant et, pourtant, totalement historique. Alors, qu’est-ce qui fait que ça ne marche pas ? Le côté fauché de ce film… On ne voit que ça et, pire encore, tout ce qui essaie de le masquer dans la mise en scène qui mêle prises de vue réelles en couleurs, archives en noir et blanc, mais aussi transparences, surimpressions et surtout les plans interminables sur une maquette en argile décrivant la vie quotidienne d’un peuple opprimé. Rithy Pahn a transformé son film en « fiction documentaire » trop confuse pour passionner même si ses vertus pédagogiques sont indéniables. En quelque sorte, la fiction sert à révéler le manque documentaire, mais aussi l’absence d’action ou de combat possibles lorsque tout est faux-semblant et que la réalité n’a plus prise.
Alors, prisonnier de ce choix scénaristique, le casting, dominé par Grégoire Colin, Irène Jacob, Cyril Guei et Bunhok Lim qui ne savent visiblement pas trop sur quel pied jouer, semble s’ennuyer autant que nous. La volonté évidente de ne pas transformer son film en un spectacle complaisant, ne parvient qu’à rendre l’ensemble froid et distant. Mais, malgré tous ces défauts, le film reste une formidable interrogation sur l’écran de fumée que devient la propagande. De quoi faire réfléchir pas mal de nos politiques qui bayent d’admiration devant certains régimes autoritaires.