Rithy Panh, qui avait 11 ans lors de la prise du pouvoir au Cambodge par les Khmers rouges, continue de tracer son sillon, film après film, et de faire œuvre de mémoire sur la dictature khmère (1975-1979) et le génocide cambodgien (estimé à 1,7 million de personnes soit 20 % de la population). Cette fois-ci, il s’inspire du livre de l’Américaine Elisabeth BECKER, « When the war was over : Cambodia and the Khmer Rouge Revolution » (1983), en le transposant dans un contexte français, en 1978 : elle-même (31 ans à l’époque), Malcolm Cadwell (1931-1978), universitaire écossais, marxiste et partisan des Khmers rouges, et Richard Dudman (1918-2017), journaliste américain, deviennent respectivement, Lise Delbo (Irène JACOB), journaliste, Alain Cariou, intellectuel communiste (Grégoire COLIN), ayant connu Pol Pot lorsqu’ils étudiaient à La Sorbonne, et Paul Thomas (Cyril GUEÏ), photoreporter, seuls Occidentaux invités par le régime Khmer, avec l’espoir de rencontrer Pol Pot (1925-1998), de son vrai nom Saloth Sâr et qui se faisait appeler aussi Frère numéro 1 (interprété par le réalisateur mais peu visible car restant dans l’ombre). Même si le film n’a pas la puissance et l’émotion de « La déchirure » (1984) de Roland Joffé, il est complémentaire du « Temps des aveux » (2014) de Régis Wargnier qui traitait de la détention de l’anthropologue François Bizot à l’instigation du Khmer rouge Douch, futur directeur du sinistre centre de torture S21, il n’en reste pas moins intéressant, d’une part, par l’ambiance recréée, anxiogène (Occidentaux confinés dans leur chambre aux fenêtres à barreaux, constamment surveillés et accompagnés, sans savoir où ils sont), absurde [
dîner, où les personnages boivent du Château Angélus (premier grand cru Saint-Emilion), filmé en une alternance de travelling latéraux
, tarmac désert où attendent les 3 Français)], ubuesque (dogmatisme de l’égalitarisme à tout prix avec la suppression des classes sociales, négation et élimination des hommes imparfaits et non réformables, cynisme [citation de Danton (1759-1794) : « Soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être », prononcée lors des massacres de septembre 1792] et kafkaïenne, et d’autre part, par son originalité, en insérant des images d’archives en noir et blanc et en faisant appel à des figurines pour certaines scènes, comme l’avait fait le réalisateur dans « L’image manquante » (2013), permettant de décrire l’indicible.