S’il doit à Extáze (1933) sa notoriété relative, puisqu’il demeure aujourd’hui un réalisateur méconnu, c’est avec Erotikon que le Gustav Machaty impose des thématiques et une esthétique qui se retrouveront dans la plupart de ses œuvres et qui feront de lui le représentant du cinéma tchèque d’avant-garde. Nous percevons aisément l’inspiration exercée par des cinéastes français comme Jean Epstein ou Abel Gance, surtout en ce qui concerne la captation de corps dont les mouvements se voient raccordés à ceux des machines qui définissent la modernité industrielle. Nul hasard, par conséquent, si le train représente la marche d’un destin qui blesse et écrase tout sur son passage, ainsi que la perspective d’un nouveau départ, symbolisé à terme par un plan sur les bagages empilés. De même, la scène d’agression dans la voiture tirée par des chevaux articule le mécanique et le bestial comme le faisait déjà Émile Zola dans La Bête humaine (1890), publié trente ans auparavant.
Le long métrage témoigne donc d’un état de société au sein duquel l’industrie, comprenons le travail dans ce qu’il peut avoir d’automatique et de déshumanisant, menace les passions en les rendant éphémères et désincarnées : le personnage du séducteur multiplie les conquêtes comme un capitaliste énumère ses gains, l’argent occupe les esprits, le temps est synonyme de profit. Néanmoins, le réalisateur ne se complaît jamais dans la désolation et met en scène une héroïne déterminée à mener sa vie selon ses choix, laissant les hommes s’affronter sur l’échiquier. Voilà pourquoi Andréa est une figure de transgression comme aime les filmer Machaty : elle occasionne un trouble et engendre une passion et des sentiments qui auront raison de son entourage. Nul hasard si la première nuit d’amour se déroule sous le regard d’une icône religieuse, montrée deux fois dans son impuissance à intervenir et séparer les pécheurs.
La morale, dans Erotikon, n’est assurément pas affaire d’hommes ou d’institutions ; elle est du côté de la liberté et de l’épanouissement individuel, à l’image de ce plan sur la main de la jeune femme filmée en contre-plongée, donnant l’impression qu’elle se substitue à la main de Dieu. La façon qu’a le réalisateur de capter les corps de très près, qu’il s’agisse des visages, des genoux d’Andréa couchée ou des automates qui scandent le quotidien des personnages, diffuse un érotisme jusqu’alors rare dans le septième art, un érotisme visuel qui parvient à devenir atmosphérique en dépit de l’absence de son. Immense.