1993.
Un lointain passé.
Un monde révolu.
C'était une époque où les méchants butaient vraiment des gens innocents et où, du coup, les gentils se devaient de buter les méchants histoire de les calmer un peu.
C'était une époque où les corps étaient faits de chair, de sang, de sueur et de gras.
C'était une époque faite de nibards qui pointent et de gros flingues qui pulvérisent.
C'était une époque où quand tu chiais ça sentait la merde et où ça te dérangeait pas de te torcher, quitte à ce que ça te fasse un peu frémir la rondelle.
C'était une époque où quand tu voulais voir des trucs péter au cinéma, on te faisait péter de vrais trucs.
C'était une époque où la police de Moralinopolis faisait rire... Où elle était un sketch.
Une époque révolue désormais...
...Car 1993, c'est le passé.
...Un passé bien lointain.
Alors oui, c'est vrai qu'on pourrait s'attarder longuement sur le fait que ce film ait su prophétiser - presque sans le vouloir - l'avènement de notre ère.
On pourrait d'ailleurs aussi s’appesantir longuement sur cette ironie qu'il y a de constater que le film le plus visionnaire d'hier était aussi le plus potache.
A aucun moment "Demolition Man" n'a voulu se positionner comme un film d'anticipation.
Dès le départ, l'intention était manifeste : ce que voulait faire "Démolition Man" c'était juste du cinéma d'action sans prétention, bien calibré, histoire de bien se faire plaisir sans se prendre la tête.
En somme "Demolition Man" n'aspirait à rien de plus qu'à être une énième déclinaison du cinéma de son temps ; ce qu'il a été en 1993 et ce qu'il est d'ailleurs encore aujourd'hui.
Et à mes yeux c'est bien plus pour ça qu'il est passé aujourd'hui à la postérité.
Non pas parce qu'il a su être du cinéma visionnaire, mais juste parce qu'il a su être du cinéma incarné et incarnant.
Oui, "Demolition Man" c'est du cinéma qui incarne les années 1990. Et c'est cela qui le rend iconique.
Il n'a pas cherché à être plus. Il s'est juste contenté de ne pas être moins.
Il s'est contenté de faire le job. D'être dans les standards. Et c'est ce qui fait qu'il est au fond devenu un étendard de ce cinéma d'une autre époque ; un cinéma où même quand on voulait faire un truc simple et efficace, on allait se reposer sur les bonnes vieilles mécaniques qui avaient su faire leurs preuves jusqu'alors.
Cadrages nets. Photo *clean*. Montages métriques.
Effets spéciaux maitrisés. Rythmique savamment orchestrée. Intrigue rodée pour aller à l'essentiel.
Bref rien d'extraordinaire pour l'époque. Juste du standard quoi...
...Mais un standard qui fait aujourd'hui clairement la leçon aux standards de maintenant.
Aujourd'hui, en ce début de décennie 2020, la règle c'est désormais d'en envoyer le plus possible tout le temps. Il faut que ça hurle, que ça bouge, que ça enchaine, que ça accumule... Il faut que le spectateur ait l'impression qu'on lui dégueule du pognon à la gueule à chaque image, quitte à devoir lui raconter des histoires goinfrées de détails tarabiscotés pour qu'il ne se rende pas compte qu'on lui bourre le mou.
En ce début de décennie 2020, le standard c'est de la bouillasse numérique dégueulasse qui te tartine du *lore* sans souci de cohérence parce que de toute façon l'intrigue est censée durer pendant les huit autres films de l'univers étendu.
Et que ça ne nous surprenne pas : parce qu'au fond ce cinéma n'est juste que le reflet de notre époque.
Rien d'étonnant à ce qu'une société qui se noie de plus en plus dans un torrent virtuel d'informations multiples, éphémères et superficielles produise un cinéma désincarné, boursoufflé et incapable de poser quelque-chose dans le temps.
C'est cela en fait que "Demolition Man" nous renvoie.
Ce n'est pas sa vision du San Angeles du futur qui nous interpelle.
Non, dans les faits c'est ce qu'était 1993 qui aujourd'hui nous fout une claque.
Alors oui, c'est vrai, en 1993 ça ne dérangeait pas grand monde d'envoyer des kilotonnes de CO2 dans l'atmosphère juste pour le plaisir d'imprimer une jolie explosion sur de la bobine. Mais il n'empêchait qu'à cette époque on avait encore le goût du souffle, de l'impact, de la chair.
A cette époque-là on ne cherchait pas à voir des danses de ballerines numériques incapables de porter un coup qui soit vraiment signifiant à l'écran.
A cette époque là on ne cherchait pas à être noyé par un flot ininterrompu de paroles et d'informations pour éviter d'être effrayé par le vide qui nous entoure.
A cette époque là, on faisait simple mais on faisait net.
A cette époque là, on avait plein de défauts, mais au moins on savait respecter les bases.
"Demolition Man" c'est ça.
C'est du cinéma basique. C'est du cinéma qui a des bases.
Rien de prétentieux. Rien d'extraordinaire. Mais tout ce qu'il tente, il le réussit.
Au fond "Demolition Man" est à l'image de son auteur, Marco Brambilla : il n'a pas fait grand-chose mais le peu qu'il a fait, il l'a bien fait.
En 1993, faire les choses bien, ça permettait d'aboutir à un film honnête et sympa. Basique mais suffisant pour l'époque.
En 2020, du cinéma comme ça, ça rétame toute la production en termes de cinéma d'action d'un simple claquement de doigt.
Alors oui, pour tous ceux qui voudraient connaître le grand frisson telle une Sandra Bullock qui ne demande qu'à être déniaisée, le temps est peut-être venu d'aller décongeler les deux compères Stallone et Snipes...
Car c'est parfois en se torchant avec certains pages de blabla bien superflu qu'on se rappelle au plaisir de sentir frémir un peu sa rondelle.