Aller voir en salle un film de Quentin Dupieux, c’est toujours une expérience de l’absurde qui ne laisse pas indifférent : si on adhère, cela fonctionne, dans le cas contraire, je comprends qu’on soit tenté de quitter carrément la salle. Dupieux, c’est quitte ou double. Comme d’habitude, son film est ultra court (1h20) mais celui-ci passe tellement vite qu’on est presque désemparé quand le film se termine. Surtout qu’il se termine de façon très étrange,
sur un travelling de travelling (comprendre, un défilé de rail) interminable,
comme un pied de nez aux multiples travelings du film. C’est confus ? C’est normal, le film est très difficile à expliquer et à décrire. Ce qu’on peut en dire sur la forme, c’est qu’il est filmé dans des conditions minimalistes (une route, un restaurant), que les 4 personnages principaux ont chacun leur longue scène les uns avec les autres en marchant sur la route. En gros, ils marchent et ils parlent pendant les trois quarts du (pas très) long-métrage, à l’image de la bande annonce finalement. Pas réellement de générique de début, un générique de fin minimaliste et silencieux, pas de musique, une photographie volontairement sans intérêt, des costumes entre le banal et le «faux pas »
(l’ensemble vieux rose de Vincent Lindon, à la fin, ce serait même plutôt « faut pas, mais alors, pas du tout! »)
, le film de Quentin Dupieux ne vaut que pour les acteurs et les dialogues, le reste est volontairement le contraire du cinéma. Au casting, tous les comédiens sont dans l’autoparodie et c’est assez réjouissant.
Vincent Lindon écorche son côté « militant » pour verser dans l’arrivisme et la prétention, Louis Garrel abîme son image d’acteur sérieux en devenant un dragueur pathétique et poseur, Raphaël Quenard se moque de la mode qui fait de lui le futur du cinéma français, et Léa Seydoux se heurte au mur de la critique qui la trouve juste mauvaise.
Tous sont réjouissants et j’y ajoute Manuel Guillot en figurant stressé. En fait, il est difficile d’expliquer que « Le Deuxième Acte » est une critique du cinéma français si on n’explique pas que David, Florence, Guillaume et Willy
sont des comédiens qui jouent (mal) des (mauvais) rôles (lamentablement) mis en scène par une intelligence artificielle forcément inhumaine
. « Le Deuxième Acte » flingue le petit monde du cinéma à tout va : la cancel culture, l’arrivisme, la mégalomanie, le formatage des scenarii, les agents artistiques qui ne servent à rien, les egos surdimensionnés, l’utilisation de l’intelligence artificielle, le souci permanent de l’image renvoyé au public, etc… C’est souvent drôle, très souvent acide, c’est tellement décalé que ça en devient presque surréaliste. Je comprends que l’on puisse être désemparé devant un film qui ne raconte aucune histoire, par le côté « film dans le film qui est un film mais pas totalement », pas les longues scènes dialoguées, par la scène finale
avec les rails tellement longue qu’on a envie de regarder ailleurs
, tout cela est étrange et difficile à décrire. Mais « Le Deuxième Acte » est un exercice de style indéniablement original. Ce long-métrage là ne ressemble à aucun autre long-métrage, même pour Quentin Dupieux. En fait, avec ce film, il filme le nombril du cinéma français ! Mais c’est diablement drôle, parce que tous ces comédiens qui s’agitent devant la caméra sont pathétiques. D’habitude, Lindon nous bouleverse, Garrel nous émeut, Seydoux nous fait rêver, Quenard nous impressionne, et bien ici, ils sont désacralisés : les acteurs ne sont pas des gens exceptionnels, ils sont comme les autres. Non, en réalité, ils sont pires !