Quel est au juste le premier coup de maître de Godard? Ne serait-ce pas, en dépit de la moindre estime dont il jouit, «Le petit soldat» (1960), bien davantage qu'«À bout de souffle»? La perfection de sa facture et la gravité de son contenu tendent en tout cas à me le faire penser. Dans le premier long métrage du réalisateur, l'adolescence rimbaldienne du propos n'était confrontée qu'à sa propre légèreté et, si son aboutissement était tragique, son absurdité n'en était pas moins gratuite. Dans le second par contre, l'adolescence est durement confrontée au réel, sous la forme de l'engagement politique. Le militantisme écervelé (Bruno, d'extrême-droite, est sans idéal; Véronica, elle, ne sait pas trop pourquoi elle milite pour le FLN) aboutit ici à des conséquences tragiques beaucoup plus lourdes et crédibles que la mort idiote du antihéros immature d'«À bout de souffle». Et, quelle qu'ait été l'intention de Godard dans cette évocation, certes orientée, mais pas trop manichéenne, de la guerre d'Algérie, son film donne à penser sur une époque et sur une génération. Ceci dit, c'est surtout par son absolue modernité et son originalité déjantée que vaut «Le petit soldat». Il reprend tout ce qui faisait la valeur du film précédent (nervosité extrême et audace du montage, post-synchronisation, concision), mais avec bien davantage de maîtrise, en sorte qu'il montre une perfection formelle qui a tous les atours alléchants de la nouveauté fraîchement éclose. Cerise sur le gâteau, il bénéficie d'un merveilleux noir et blanc de «polar» et d'une bande-son prodigieuse, tant pour la musique que pour les dialogues (une fois n'est pas coutume). Inoubliable!