Ray Bradbury, John Huston, Norman Corwin, ont mis plus d’un an à bâtir un scenario adapté du roman d’ Herman Melville “Moby Dick”. Le film, sorti en 1956, deux ans après la fin du tournage, posa plusieurs problèmes. En premier l’absence de rôle féminine, car Huston voulait se concentrer sur la haine entre un homme qui se prend pour le champion de l’humanité et une baleine blanche qu’il pense être la représentation d’un Dieu malveillant qui tourmente les hommes depuis qu’il les a chassé du jardin d’Eden. Ingrid Bergman, désirée par la production, ne pouvait donc pas avoir de rôle dans cet récit. La production finit par accepter l’absence de rôle féminin et exigea en contre partie une grande star sur l’affiche. Quelques pointures refusèrent et ce fut finalement Gregory Peck qui à trente sept ans endossa le rôle d’un capitaine Achab, près de la soixantaine. Trop jeune, à priori trop mou et trop propret, il parvient néanmoins à se fondre dans l’habit de ce Prométhée ivre de haine et de vengeance, allant jusqu’à un jeu outrancier. Mais il est vrai que ce personnage pouvait difficilement se concevoir dans la sobriété. Le casting qui l’entoure (Richard Basehart, Leo Genn, Friedrich von Ledebur, Harry Andrews) est convaincant à défaut d’être génial, à l’exception d’Orson Welles dans un prêche impressionnant au début, qui tient uniquement sur sa qualité d’acteur, étant majoritairement filmé en plan fixe. Les scènes d’action sont brillamment réalisées. Malgré des moyens spéciaux qui furent ceux de l’époque, la partie chasse à Moby Dick est haletante et convaincante, grâce à une énorme maquette (trois en fait) qui se brisa moult fois, obligeant des reprises dans les conditions peu évidentes de la pleine mer. Cinématographiquement parlant, la caméra alterne les variations de distance, allant jusqu’à une épreuve physique à hauteur d’homme.
En ce sens la mort du Capitaine est impressionnante, au propre, comme au figuré.
Finalement le problème métaphysique et son défi prométhéen n’est jamais sacrifié dans l’action, ni l’inverse. Enfin, le traitement particulier de la couleur, tel que voulu par Huston, donne un côté terreux mono chromique précurseur de ce qui se fait aujourd’hui, que je trouve regrettable par rapport à un noir et blanc qui apporte une autre profondeur au poids des images. Avec « Moby Dick » Huston réussit un de ses exercices favoris : adapter brillamment à l’écran un roman réputé inadaptable