Sorti en septembre 1926 au Royaume-Uni, « The Lodger » (trad. Le locataire, sorti en France sous le titre « Les cheveux d’or »), est le troisième film d’Hitchock, mais considéré par lui-même comme son premier film. Et en effet, nous y retrouvons déjà les éléments récurrents de son œuvre : l’innocent accusé à tort, l’obsession pour les femmes aux cheveux d’or (ligne conductrice des meurtres), l’humour (scène des découpes de cœur entre le policier transi d’amour et la jeune femme, l’opposition du couple de propriétaires dont la femme hyper-active contraste avec la nonchalance de son mari se prélassant continuellement avec son journal, et la scène où ces derniers se font bailler l’un l’autre à tour de rôle), une pointe d’érotisme (quand la jeune femme se déshabille derrière le rideau de vapeur de son bain), la présence fugace du réalisateur sur la pellicule, et bien sûr le suspens (sans doute ici principalement au moment du retour du locataire à son domicile pendant que sa propriétaire fouille ce dernier).
Egalement, déjà, Hitchcock expérimente différentes trouvailles et procédés techniques : teintes sépia rassurantes pour les scènes intérieures et teintes froides pour l’extérieur, le rapprochement du visage du héros à la caméra pour embrasser sa belle, les fondus sur l’empreinte du pied au sol, mais surtout le balancement du lustre et le très ingénieux plafond transparent au-dessus duquel marche le personnage principal, permettant de visualiser par l’image le bruit qui fait défaut. La première apparition méphistophélique du personnage principal est également une pépite, tant elle est saisissante, imposante et réellement inquiétante. Hitchcock joue également, comme il le fera souvent, avec les intuitions du spectateur ; il égrène ainsi les indices pour que celui-ci identifie le meurtrier en série, tout en le faisant douter, avant de lui faire découvrir son erreur, l’incitant au final à ne pas se fier aux apparences.
Ce film s’apprécie en gardant à l’esprit les moyens de l’époque. Constante des films muets, le jeu des acteurs est hyper-théâtralisé pour compenser l’absence de dialogues. Pour autant, les personnages sont loin d’être caricaturaux et manichéens, Hitchcock valorisant parfaitement la complexité et l’ambivalence de la nature humaine. Ainsi, le personnage principal veut se venger du meurtrier qui signe ses crimes sous le nom du « Vengeur », ou encore le policier, amoureux éconduit de la jeune femme, passe du statut du jaloux au jugement professionnel biaisé en condamnant un innocent, au statut de héros, une fois sa méprise comprise, pour affronter une foule déchaînée lynchant l’accusé à tort. Ce dernier moment prend une dimension d’ailleurs tout à fait christique : menottée, bloquée par une grille la suspendant en l’air, l’innocence est suppliciée par la vindicte populaire ; l’acteur, le sang aux commissures des lèvres, ferme les yeux, nous faisant songer au « père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » du Christ. Lorsqu’il sera détaché, la scène est d’ailleurs saisissante tant elle rappelle le positionnement du Christ lors de la descente de croix, telle que la représentent de nombreux tableaux.
Enfin, le « happy end » n’est pas pleinement serein. Si les amoureux se retrouvent dans le logis luxueux du héros, ils s’embrassent devant une fenêtre où continue à clignoter au loin l’enseigne où l’héroïne travaillait et autour de laquelle rôdait le meurtrier, rappelant que le danger à l’extérieur n’est jamais totalement exclu.