En une heure et demie, Survivre met à nu le film catastrophe américain, et tire des limites imposées par son budget un réservoir de créativité pour suggérer la menace et mieux la communiquer à son spectateur. La diversité culturelle représentée par le choix de personnages originaires de pays différents et parlant une langue différente – la mère est française, le père allemand, ils parlent en anglais avec leurs enfants – contraste avec le drapeau américain qui flotte triomphalement sur le bateau de plaisance nommé Orca, en référence au chef-d’œuvre de Steven Spielberg, et affirme un point de vue étranger bienvenu parce que garant d’une distance critique.
En effet, le cinéaste dénonce la surconsommation sans formuler ni discours théorique ni parabole ronflante, à la différence de productions effarouchées par l’idée que l’action se suffise à elle-même : soit un bric-à-brac de marques, depuis les chaussures portées par les protagonistes (Nike, Converse, Adidas) jusqu’au sac à dos Eastpak en passant par les containers chargés de ballons multicolores et par les boîtes de conserve Nestlé jonchant le sable du désert. Le paradoxe tient alors à l’omniprésence des signes de consommation dans un environnement impropre à les recevoir, qui les dégrade sans offrir un quelconque rachat à leurs clients : les baskets blanches iconiques se tachent de sang, le foulard est arraché pour servir de garrot, le yacht mute en terrain de chasse pour un bourreau assoiffé de sang, le jet privé se charge du corail et des algues séchés comme traces d’un engloutissement antérieur…
La faillite de la consommation s’observe également dans les hommages aux blockbusters qui servent à la fois d’éléments dynamiques à la mise en scène – la caméra à même le sol et progressant vers les acteurs reproduit celle Tremors (Ron Underwood, 1990), les plans captés sous l’eau empruntent à Jaws (Steven Spielberg, 1975)… – mais aussi, par leur invalidation successive, à la fabrication d’une chaîne de références aussitôt convoquées aussitôt asséchées et intégrées à un récit cannibale qui se plaît à frapper là où on ne l’attend pas. L’écriture manichéenne des deux figures masculines extérieures à la famille, comprenons d’une part le scientifique altruiste porteur d’un espoir de sauvetage, d’autre part le démon humain s’apparentant, par sa marche lente et par l’allégorie de la mort qu’il incarne, à celui la saga Halloween (John Carpenter), s’invalide pour laisser place à l’instinct de survie des trois personnages principaux, en particulier celui de la mère violemment raccordée à la nécessité de s’adapter à son environnement pour se protéger et protéger les siens. Elle trouve en Émilie Dequenne une actrice à sa hauteur, dont la puissance tant physique que morale surprend.
Une très belle réussite qui témoigne non de la survivance mais de la vitalité du cinéma de genre en France.