Un empilement de scènes de sexe pendant près de 45 minutes - on se demande ce qui lie émotionnellement Ani à Vanya, tant leur relation semble basée sur de la jouissance - puis le nœud : un mariage inattendu à Las Vegas, qui met en rogne la famille russe. Jusqu'à ce moment, tout semble n'être qu'illusion et artificiel entre les deux jeunes gens ; pourtant, Ani a certainement éprouvé quelque chose pour Vanya, mais quoi ? Une attirance pour le Bling Bling, le pognon et la position sociale promise ? Ou pour l'être lui même ? Sean Baker prend soin de ne pas répondre à cette question, il essaime seulement suffisamment d'éléments pour que chacun s'en fasse sa propre idée. Ce qui est tout à fait perturbant, c'est qu'en prenant la forme d'une sorte de conte de Cendrillon des temps modernes, Anora approche inexorablement de l'acerbe critique de deux univers à la fois distincts et pourtant irrémédiablement liés : le monde de la fête, avec tout ce que cela suppose de jouissance et d'excès, et le monde des ultra-riches qui, comme on le sait, est connu pour s'y confondre admirablement. Entre-deux, Ani navigue comme une pauvre hère avec courage et fierté, farouchement déterminée à s'en sortir. Victime de sa condition, elle affronte finalement le gouffre abyssal qui la sépare de Vanya, ce "petit con" (pour citer l'arménien) décérébré qui ne se soucie de rien d'autre que de son bon plaisir, couvert par son rang et sa famille. Ironie du sort sans doute, Ani est la victime principale d'un drame plus large, qui touche d'autres personnes aussi misérables qu'elle. Igor est à ce titre une figure majeure du métrage - c'est un type simple qui vit avec sa mère, et qui, comme Ani, est utilisé par la famille de Vanya. Deux destins croisés donc, deux destins liés ; la réunion de deux misérables broyés par les puissants de ce monde.