Vu à Montréal.
Que vaut la Palme d’or décernée par Greta Gerwig et son jury à Cannes cette année? Et bien il est certain que « Anora » est un bon film, du même acabit que les précédents travaux de son auteur Sean Baker. Ses premiers films sont sortis de manière confidentielle voire pas du tout dans nos contrées et c’est avec « Tangerine » qu’il a commencé à être connu. Ce fut le film de la découverte avec son côté presque expérimental et tourné à l’IPhone, une œuvre bourrée d’énergie et de personnages interlopes et iconoclastes baignés dans une photographie aux teintes fluo bercées par la lumière du soleil couchant de Los Angeles. Petit coup de cœur suivi du tout aussi appréciable « The Florida Project » et sa faune bigarrée d’enfants et de parents laissés pour compte peuplant un motel de Floride. Son dernier opus nous avait peut-être un peu moins convaincu avec son acteur porno sur le retour dans une petite ville du Texas. Tous ces films ont un dénominateur commun : des personnages en marge terriblement attachants que Baker semble aimer et vénérer. Sa filmographie regorge de ces énergumènes au grand cœur peu aidés par la vie. Avec « Anora », c’est la même affaire et il réalise là son meilleur film, le plus abouti même, malgré quelques petits défauts.
En revanche, si on se pose la grande question sur toutes les lèvres et sujette à débat, à savoir si « Anora » méritait la Palme d’or, la réponse est clairement négative. Et encore moins si on met le film en perspective avec certains de ses concurrents. Que ce soit le favori « Les graines du figuier sauvage », à qui la récompense suprême aurait dû être dédiée sans hésiter, le chef-d’œuvre choc et probablement trop clivant « The Substance » ou encore le magnifique « Emilia Perez », il est clair que cet « Anora » fait moins imposant et magistral face à eux. Trop léger, pas assez substantiel et peu de choses à dire sur notre monde, le film ne nous subjugue pas non plus par sa mise en scène ou son écriture. Tous ces points sont bons, certes, et l’interprétation est d’un naturel confondant, notamment la découverte Mickey Davidson, merveilleuse de naturel et d’énergie, mais pas assez pour pouvoir mériter la Palme d’or et surtout en comparaison de ses concurrents. Mais il serait dommage de juger le film seulement à l’aune de la compétition cannoise et juste l’apprécier en tant que tel.
Le film est très long (près de deux heures et demie) et le scénario n’est pas particulièrement riche mais on ne peut pas dire que l’on s’ennuie par moments ou qu’il y ait des longueurs. Ce conte de fées moderne qui narre la rencontre entre une escort girl désinhibée et le fils d’un oligarque russe (Mark Eydelshteyn dans son premier rôle et autre découverte aux faux airs du Timothée Chalamet de « Call me by your name ») suivi d’un passage par la case mariage à Las Vegas et d’une longue virée nocturne et diurne dans les rues de New York ne brille pas par son script, ses enjeux et ses rebondissements. Mais il nous happe. Alors oui, il y a quelques redondances en milieu de film lorsqu’on est à la recherche du jeune Ivan et certaines séquences sont étirées mais ça participe à l’atmosphère peu commune du film et à nous ancrer dans son réalisme cru et brut. À chaque instant on y croit, Baker croque magnifiquement ses personnages et les séquences ubuesques s’enchaînent mais avec un sens du réalisme indéniable. Les fêtes extrêmes, les rapports amoureux et sexuels du jeune duo, l’immersion au sein de la communauté russe ou encore les clubs d’escort, tout résonne vrai et participe à la réussite du film.
Si « Anora » est un film léger où l’on rit beaucoup, il y a une part de tragédie qui s’immisce et un constat final plus amer qui détourne le conte de fées vers la désillusion. Et c’est peut-être le cœur du film. Les rêves d’une jeune escort désœuvrée sont brisés et le constat social pessimiste mais logique qui s’en suit est évident. La séquence finale lourde de sens mais ouverte à multiples interprétations est sibylline et ambiguë. Elle tranche peut-être trop avec le reste. Sur le versant sentimental c’est néanmoins très en phase avec les relations de notre époque et le film s’avère très drôle à plusieurs reprises. Le comique de situation bien exploité et les séquences hystériques ou ça braille dans tous les sens et où les personnages évoluent dans un joyeux capharnaüm sont jouissives. La mise en scène de Baker est pleine d’énergie, alerte et très vivante et il nous gratifie aussi de quelques jolis plans sensuels - comme celui d’ouverture sur ces postérieurs féminins - ou hypnotiques comme ceux qui suivent le mariage à Vegas. En somme, pour apprécier « Anora », il faut le prendre dans la continuité de la filmographie de son réalisateur mais éviter de le juger en tant que Palme d’or car cela ne joue pas en sa faveur.
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