"Anora" de Sean Baker est une œuvre riche en nuances, qui attire par son atmosphère et son interprétation de personnages, tout en laissant quelques interrogations en suspens. Le film se concentre sur l’histoire de la strip-teaseuse Ani et de son improbable idylle avec Vanya, le fils insouciant d’un oligarque russe. Les acteurs, en particulier Mikey Madison dans le rôle d’Ani, apportent une profondeur sincère qui capte l’attention du spectateur, même lorsque le récit vacille.
L'un des atouts majeurs du film est l'authenticité des personnages, soutenue par une esthétique visuelle frappante. Tourné en 35 mm, Anora bénéficie d'une image granuleuse et d'une mise en scène immersive qui capturent les coins de Brooklyn avec un réalisme brut. Cet effort de Sean Baker pour renforcer l’ambiance fonctionne, mais il n’est pas toujours pleinement exploité au service de l’intrigue. La relation entre Ani et Vanya, bien que centrale, semble parfois manquer de développement en profondeur, rendant certains dialogues répétitifs et certaines scènes un peu artificielles.
Les thèmes sociaux abordés dans le film, notamment l’abîme entre les classes et la confrontation des valeurs, sont intrigants, mais ils ne parviennent pas toujours à s’enraciner dans une véritable analyse critique. Baker semble osciller entre un commentaire satirique sur les privilèges et une étude des désillusions amoureuses sans aller jusqu’au bout de l’un ou l’autre, ce qui peut donner un sentiment d’inachevé. Le mélange de comédie et de drame, bien dosé par moments, reste inégal, et si le film arrache des sourires, l'humour ne s'intègre pas toujours avec fluidité dans l’ensemble.
Le récit gagne en intensité vers la fin, lorsque Ani, face aux pressions de la famille de Vanya, se heurte à la dure réalité de son choix. C’est là que le film atteint une pointe d’émotion brute, révélant la vraie force de son personnage principal. Cependant, ce climax poignant contraste avec certaines longueurs qui auraient pu être évitées, donnant au film un rythme parfois décousu. Les échanges entre Ani et la mère de Vanya, Galina, sont d'une efficacité glaciale et traduisent un choc des mondes. Galina incarne un contrôle implacable et une froideur qui ajoutent une tension dramatique précieuse à l’intrigue.
En fin de compte, Anora est un film audacieux, avec des éléments fascinants, mais qui n’atteint pas totalement son potentiel. La richesse visuelle et le jeu convaincant de Mikey Madison apportent une qualité indéniable, même si l’ensemble aurait pu bénéficier d’une structure plus resserrée et d'une exploration plus incisive des thèmes abordés. Avec ses hauts et ses bas, le film maintient un équilibre entre le captivant et le frustrant, un mélange d'ambition et d'exécution partiellement accompli.