Une comédie de Dreyer ! Chose insolite dans la filmo du cinéaste danois... Il y a dans cette oeuvre une ironie et une malice qui disparaîtront dans ses réalisations ultérieures, au profit d'une gravité et de préoccupations plus psychologiques, mystiques ou métaphysiques. Dreyer faisait des films depuis cinq ans, au Danemark, en Suède ou en Allemagne, lorsqu'il réalisa ce Maître du logis. Le succès fut au rendez-vous, notamment en France, où le cinéaste sera ensuite cordialement invité à tourner La Passion de Jeanne d'Arc, avec Renée Falconetti. Mais restons sur ce film danois, plutôt méconnu. Il joue sur deux tableaux : le réalisme social, avec une attention portée à tous les gestes et toutes les tâches d'un quotidien domestique "moyen", sur le mode d'un quasi-huis clos ; la critique sociale et morale d'un cadre de vie traditionnel qui fait de la femme la servante de son mari. Sans verser dans un féminisme "libérateur", Dreyer n'en développe pas moins un propos étonnant pour l'époque, tout empreint d'admiration et de reconnaissance pour une gent féminine humble, laborieuse, intelligente. Une déclaration d'amour qui va de pair avec la dénonciation d'une autorité et d'un pouvoir masculins abusifs, aveugles, stupides, ici joyeusement rabroués. Le film commence par ce texte : "Voici l'histoire d'un mari trop gâté, une espèce déjà disparue dans notre pays, mais qu'on rencontre encore à l'étranger. C'est aussi l'histoire d'une femme héroïque. Pas une de ces jolies vedettes à l'élégante coupe garçonne dont raffole le cinématographe, mais une femme ordinaire, une épouse et une mère dont l'horizon se limite aux quatre murs de son foyer de banlieue." Passé la petite touche d'ironie à l'égard de ses concitoyens et des stars à la mode de l'époque, Dreyer lance ainsi son histoire entre un antimachisme moderne et un idéalisme féminin à l'ancienne. Son style va se révéler un peu appuyé et démonstratif, mais le scénario est suffisamment insolite et amusant pour faire oublier les quelques lourdeurs et longueurs du film. On s'amuse notamment du personnage de la nounou, au caractère bien trempé et à la ruse réjouissante. Ce personnage de rebelle mène la danse, avec fermeté et doigté, et permet à Dreyer de faire passer agréablement son conte moral. Voilà qui fait de ce film une véritable curiosité et donne l'occasion de découvrir une autre facette du cinéaste danois.