Le Maître du logis est l'un des films les plus simples et les plus beaux de Carl Theodor Dreyer, à jamais souverain du Cinéma muet scandinave (et peut-être seulement le plus grand cinéaste de tous les temps). Le Maître du logis est ce qu'on appelle un "Kammerspiel", c'est-à-dire un drame de chambre. Il est construit en deux parties : la première est un tableau familial où le père, véritable tyran, rend la vie de tous impossible et en particulier celle de sa femme, qui subit sans broncher toutes les avanies et les injustices de son époux. Elle est poussée à partir par sa mère et la brave Nana, la bonne de toujours. Il était temps : harassée de fatigue, elle n'aurait pu éviter la mort si elle était restée dans de tels conditions. La deuxième, non sans un certain humour moqueur, est la prise de conscience par l'homme de sa bassesse, de sa cruauté son égoïsme et son ingratitude. Le loup redevient brebis, et cette métamorphose donne de délicieuses et désopilantes scènes avec la nounou. Enfin, le retour inespérée de la femme annonce des jours meilleurs et une entente nouvelle à la maison.
On retrouve dans ce film trois caractères chers à Dreyer. La femme est un symbole de pureté. C'est la sainte comme Jeanne d'Arc, elle est même incapable de penser que son mari est mauvais. Le mari est quant à lui possédé par le mal, et il ne s'en rend pas compte. C'est pourquoi il ne peut prendre conscience de son ignominie par lui-même, mais ce sont les autres qui le lui montrent. Malgré cela, il parvient à trouver une voie vers la rédemption, celle de l'humilité et de l'attention à autrui. Cependant, il reste trop orgueilleux pour demander pardon, et manque de confiance en lui. En effet, son amour pour sa femme paraît d'abord complètement intéressé : il ne sait pas vivre tout seul, c'est un assisté.
Quant à sa femme, elle n'a pas besoin de faire le moindre effort pour pardonner à son mari, elle ne veut et ne trouve rien à lui reprocher. C'est par l'imagination d'une tromperie que le mari se rendra compte qu'il aime sa femme, et elle, préfère revenir à son foyer plutôt que de profiter de longues semaines de répit, sachant bien qu'elle ne peut vivre sans sa famille, comme sa famille ne peut vivre sans elle.