Le dixième long-métrage d'Henri-Georges Clouzot est l'un des premiers en France à proposer une mise en scène sous forme de flashbacks, à la manière de "Citizen Kane" par exemple.
En effet, "La vérité" (1960) est un film de prétoire, on suit le procès pour meurtre de Dominique Marceau (Brigitte Bardot, dans l'un de ses rares rôles dramatiques), entrecoupé de séquences racontant son existence passée, qui tentent d'expliquer comment on en est arrivé là.
On remarque que les scènes tournées au tribunal sont très statiques (plans fixes, champs/contrechamps), par contraste avec les flashbacks, dans lesquels Clouzot fait étalage de la virtuosité et de l'inventivité de sa mise en scène. On assiste ainsi à l'opposition entre une France petite bourgeoise corsetée, figée dans ses certitudes et sa morale hypocrite, et la jeune génération certes oisive et désabusée, mais vivante, traversée par le désir de s'amuser et de s'affranchir de valeurs dépassées et contraignantes.
Le procès de la jeune femme est surtout celui de son mode de vie : on tolère très mal à l'époque les aspirations à l'indépendance, à la liberté et à la jouissance (sexuelle, mais pas uniquement) de la gent féminine.
L'écriture souligne superbement la vitalité de cette jeune génération, qui dispose de son propre langage, fleuri et novateur (gros travail sur les dialogues, où l'argot est omniprésent, même si justement il peut paraître terriblement daté à nos oreilles actuelles!).
Dans "La vérité", Clouzot n'épargne pas non plus le système judiciaire français, qui apparaît partial et sclérosé, consanguin dans la façon dont les deux avocats, ennemis le temps du procès, conversent juste après dans une indifférence abjecte face à cette jeune vie détruite.
Un mot pour finir sur l'interprétation, globalement très bonne (Sami Frey, Louis Seigner, Meurisse et Vanel...), même si la prestation de BB est plus controversée (encourageante mais imparfaite). Sa présence au casting s'imposait avant tout par le symbole qu'elle représentait alors.
Le seul reproche que je ferais à "La vérité", c'est sa dimension manichéenne, même si la nature même de cette charge pamphlétaire le nécessitait sans doute.