On ne louera jamais assez le génie d’Henri-Georges Clouzot, réalisateur à la réputation de tyran qui a offert au cinéma français quelques-unes de ses pépites ("Les Diaboliques", "Le salaire de la peur" ou "Quai des Orfèvres", pour ne citer qu’eux). Son sens aigu de la mise en scène et son cynisme sont sans équivalents… et "La Vérité" (inspiré de l’affaire "Pauline Dubuisson") est une nouvelle démonstration de son talent. Le film cumule les grandes idées. Tout d’abord, sa construction, avec un récit en flashback rendu cohérent grâce au fil rouge que représente le procès de l’héroïne. Cette façon de procéder a, depuis, fait bien des émules mais elle insuffle une énergie considérable à l’histoire et se voit transcender par le soin apporté aux plans. Elle permet, également, de creuser les personnages… dont l’écriture est, du reste, un modèle du genre. Comme souvent chez Clouzot, personne n’est tout blanc, ni tout noir. De la meurtrière à sa victime, en passant par les témoins et les avocats, on ne peut qu’être admiratif du souci du réalisateur de faire de chacun un être complexe, contradictoire et, surtout de refuser d’imposer qui que ce soit comme sympathique ou antipathique. Il ne juge, d’ailleurs, pas ses personnages (seulement la société !) et va même jusqu’à faire comprendre les agissements de l’avocat de la partie civile qui, dans ce genre de film est, en principe et à l’instar du Procureur, le salaud de l’histoire. C’est, une fois de plus, l’obsession de Clouzot qui est au centre du film, à savoir la nature humaine et sa grande imperfection. Il place, cependant, ce discours pessimiste dans le contexte d’une France corsetée, où on préfère de juger les mœurs que les actes. Son héroïne n’est, donc, pas tant honnie pour son meurtre que pour la débauche qu’elle caractérise aux yeux de la bonne société puritaine. C’est l’autre talent de Clouzot qui, quoi qu’aient pu en dire les critiques de la Nouvelle Vague, était souvent avant-gardiste sur les sujets de société (voire, notamment, l’évocation dénuée de critique ou de moquerie de l’homosexualité dans "Quai des orfèvres" et "Le salaire de la peur" ou encore la critique des dénonciations anonymes dans "Le Corbeau" en pleine Occupation). "La Vérité" peut, également compter sur des dialogues extraordinaires qui confinent au sublime lors des joutes verbales entre les deux avocats campés par Paul Meurisse et Charles Vanel (fantastiques l’un comme l’autre). Le "ce n’était que la troisième ou quatrième fois que vous ratiez votre suicide. Décidemment, vous ne réussissez que vos assassinats" est un coup de maître… parmi tant d’autres ! Il faut dire que le casting est époustouflant puisque, outre les deux ténors précités, on retrouve un Sami Frey à la fois attendrissant et détestable en petite ami jaloux, Marie-José Nat en sœur haineuse, Louis Seigner en Président de Cour d’Assises, Jean-Loup Reynold en ami aux envolées suicidaires… Et puis, il y a Brigitte Bardot, star mondiale et icone glamour de l’époque, qui s’offre, sans doute son meilleur rôle et, accessoirement, une crédibilité d’actrice inespérée sous l’égide de Clouzot. En assumant son image sulfureuse, elle transcende son personnage et s’avère époustouflante, ni plus ni moins. Son extraordinaire beauté et sa candeur crédibilisent les réactions des hommes à son contact. "La Vérité" est, donc, un grand film qui traite d’un sujet pas si évident et se permet un propos pas forcément facile à entendre en 1960, le tout emballé dans un superbe paquet cadeau, via la mise en scène.