Une fois n’est pas coutume, Jean Gabin s’aventure hors de sa zone de confort et nous propose une composition différente du personnage de bourru au grand cœur asexué dont il a fait son fonds de commerce à compter des années 50 (à compter de "Touchez pas au grisbi" en fait). Dans "En cas de malheur", l’acteur drague, enlace, étreint, embrasse à pleine bouche et couche même avec une femme (hors champs tout de même, n’exagérons rien) sans s’en cacher ! Le spectacle est déroutant, surtout lorsqu’on est, comme moi, plus attaché à l’image de pater familias charismatique de Gabin qu’à celle de jeune premier de sa première partie de carrière. Déroutant, donc, mais inintéressant dans la mesure où Gabin semble moins "intouchable" qu’à l’accoutumée, ce qui est plutôt plaisant. Il faut dire qu’il donne la réplique à la somptueuse Brigitte Bardot (starifiée deux ans plus tôt par "Et Dieu créa … la femme"), qui incarne (ô surprise) un fantasme ambulant nunuche à souhait qui va faire tourner la tête de son avocat. On a souvent raillé les talents d’actrice limités de Bardot mais force est de reconnaître que son phrasé faussement candide et son insolente beauté collent parfaitement à ce personnage incendiaire
(ah ce fameux plan où elle relève sa jupe pour convaincre l’avocat de la défendre)
, source de toutes les tensions et véritable tornade dans cette société française si corsetée des années 50. C’est d’ailleurs Bardot qui est le véritable moteur du film puisque son personnage donne le pouls de son époque, avec sa liberté (notamment sexuelle) qui choque le bourgeois. Ce n’est pas un hasard si Claude Autant-Lara la filme comme une provocation constante qui trouble l’ordre établi. Le film est, ainsi, un intéressant portrait de son époque, campé par deux des plus grandes stars françaises des années 50. Il peut , également, compter sur des seconds rôles solides, dont l’excellente Edwige Feuillère en épouse trompée mais digne, Franco Interlenghi en détestable amant jaloux ou Madeleine Barbulé en secrétaire inquiète. Il a, pour autant, franchement vieilli, notamment en raison du de son rythme pas toujours effréné. Autant-Lara multiplie, ainsi, les scènes intimes entre Gabin et Bardot au détriment d’un certain nombre d’axes scénaristiques qui aurait pu apporter un peu plus d’efficacité. J’aurai, ainsi, aimé que le film s’intéresse davantage au procès (trop rapidement éclusé) ainsi qu’aux conséquences sur les victimes. A ce titre, "La Vérité" de Henri-Georges Clouzot (avec Brigitte Bardot dans un rôle similaire) est largement supérieure puisqu’il avait su trouver cet équilibre parfait entre état des lieux sociétal et film juridique, le tout magnifié par une mise en scène en flash-backs. La mise en scène d’Autant-Lara manque incontestablement d’audace… ce qui n’a pas aidé le film à résister au temps qui passe. Et, mine de rien, aussi atypique soit-elle, la prestation de Gabin en amoureux contrarié m'a moins emballé que ses compositions habituelles. Peut-être lui manque-t-il également les dialogues de Michel Audiard. Pas indispensable donc mais très regardable...