Le film de Paola Cortellesi est parait-il le succès inattendu du cinéma italien d e2023 et il débarque enfin sur les écrans français. Paola Cortellesi réalise un film étonnant dans sa forme, un film qui n’hésite pas à bousculer les codes du cinéma traditionnel, à tordre le bras aux conventions. Elle a choisi le noir et blanc, sans doute pour mieux coller s’inscrire (modestement) dans la lignée des grands classiques italiens. Pour l’histoire de cette femme qui cherche un peu de lumière dans la grisaille, le choix du noir et blanc peut se comprendre et honnêtement, on s’y fait très vite. Ensuite, elle utilise la musique de façon un peu iconoclaste. Sur cette histoire filmée à l’ancienne, cadrée format « télévision », elle colle ici un standard italien aux paroles explicites (voir les sous-titres), ici un morceau de musique électronique, ici un morceau de rap, là un peu de rock’n roll. C’est créatif, c’est audacieux et surtout ça fonctionne super bien. J’aime beaucoup son générique de début, qui n’est sans me rappeler le générique génial de la série « The Yong Pope » : on voit Délia marcher d’un pas régulier dans la rue en travelling et derrière elle, toute la diversité de la société italienne de l’après-guerre défile, des communistes collant des affiches aux mamas habillées de noir, des jeunes filles aux jupes raccourcie montrant leur genoux aux bonnes sœurs surveillants leur petits élèves. Son film dure presque 2 heures et pendant 2 heures, on ne verra qu’elle, Délia. Le film repose entièrement sur ce personnage central de femme, qui est de toutes les scènes, qui ne disparait quasiment jamais de l’écran. Parsemées de scènes tragiques (les scènes de violences familiales) mais aussi de d’humour, de suspens (la messe du dimanche), le film coche toutes les cases et donc, de facto, est assez inclassable. Les scènes de violences entre Ivano et Délia ne sont jamais montrées sauf la première. Précisément, cette première scène de coups est filmée de façon très étrange et je pense que peut en discuter.
Au lieu de violence pure, Paola Cortellesi décide d’en faire une chorégraphie : le sang apparait puis disparait, les bleus apparaissent pour s’effacer immédiatement, les deux époux dansent une danse de violence, c’est très étonnant et très déconcertant. Je ne sais pas trop quoi penser de cette scène, pour être honnête, je la trouve créative et dérangeante à la fois
. Paola Cortellesi s’est réservé le rôle de Délia et elle irradie dans le rôle emblématique de cette italienne de l’après-guerre. Des Délia, l’Italie a du en connaitre des centaines de milliers dans ces années là, dans un pays machiste défait, miné par la pauvreté et les pénuries. Si Paola est magnifique, les autres comédiens sont au diapason à commencer par Valerio Mastandrea et Giorgio Colageli, en père et grand père machistes, brutaux et autoritaires. Détestables à souhait,
ils gâchent tous les deux consciencieusement toutes les opportunités de paraitre moins antipathiques !
Et puis il y a Romana Maggiora Vergano en fille ainée, qui regarde très durement sa mère
tout en prenant inconsciemment exactement le même chemin !
Le scénario s’articule autour d’un mystère : que contient cette lettre mystérieuse que Délia cache à son mari ? Elle met de l’argent de côté,
un ancien soupirant lui propose de fuir avec lui, elle semble se laisser séduire par cette idée folle. Pendant deux heures, on est tendu avec elle vers cette opportunité mais tout semble se mettre invariablement en travers de son chemin.
Finalement, l’espoir d’un avenir meilleur viendra peut-être de là où on ne l’attend pas et le scénario est assez malin pour nous mener un peu en bateau. « Il reste encore demain », phrase prononcée par Délia dans une scène clef du film, est une ode à l’émancipation féminine, par le travail, par l’éducation, par la politique. C’est un film qui explique qu’une condition ne peut s’améliorer que collectivement, petits pas par petits pas. Dans l’Italie de 2024, on comprend aisément que le film ait touché une corde sensible. Par son originalité, par son propos optimiste sans être naïf, par la qualité de son casting, « Il Reste Encore Demain » fait son bonhomme de chemin dans les salles françaises. On peut peut-être lui reprocher deux trois bricoles (une scène un peu étrange, des personnages masculins caricaturaux) mais certainement pas de ne pas viser juste.