Daniel Auteuil nous propose un film de procès, un genre que j’aime beaucoup d’une manière générale. Il y a deux manière de faire un film de procès, soit on reste stricto sensu entre les 4 murs du tribunal , soit on montre les à cotés, le travail de la police, le travail des avocats, le suspects en prison, en l’agrémentant de flash back si besoin. C’est clairement le parti pris par Daniel Auteuil qui déroule son intrigue sur les trois jours du procès. Il déstructure un peu la chronologie de l’intrigue en partant de l’arrestation et en axant essentiellement son propos sur le travail de l’avocat et les relations complexes avocat/client. Il parsème son film de scènes de tauromachie, en prétextant une autre affaire annexe qui l’occupe, celle de la défense d’un jeune torero accusé de trafic de stupéfiants. En réalité, ces scènes de taureaux tournant en rond, fulminant, prêt à charger un torero qui esquive, tout cela est purement symbolique : un accusé enfermé entre 4 murs qui tourne en rond, un accusé qui esquive les faits, etc… Je ne sais pas si c’était nécessaire et si c’est subtil, mais en tous cas cela ne nuit pas au fond du propos. Tourné dans une petite ville du Sud, probablement dans la région d’Arles, il nous offre quelques scènes de transitions dans des beaux paysages, là pareil, je ne sais pas si c’était indispensable mais ça ne mange pas de pain, comme on dit. La musique (classique uniquement) est discrète, et tout cela mis ensemble donne une réalisation assez conventionnelle. Difficile effectivement de faire dans le flamboyant et l’original avec ce genre de film. En réalité, c’est sur le casting d’abord, et l’écriture des personnages que le film se démarque. Deux immenses comédiens face à face (ou côte à côte, ça dépend de l’angle par lequel on les regarde évoluer) : Daniel Auteuil et Grégory Gadebois. Le premier incarne un avocat pénaliste
encore hanté par sa dernière affaire en date (il a fait acquitter un tueur de vieilles dames qui a récidivé par la suite) et qui depuis, se tient soigneusement éloigné du pénal.
La psychologie de ce personnage est intéressante : il fonctionne clairement à l’affectif, malgré tout ce qu’il peut dire d’autre : il défend son client car il le croit innocent,
il va même flirter avec la ligne rouge de la déontologie pour le tirer d’affaire
. Il s’implique comme il s’était probablement juré de ne plus jamais le faire,
jusqu’à s’en rendre malade
.
Clairement, il cherche à réparer avec ce client son erreur d’il y a 15 ans : faire acquitter un innocent après avoir fait acquitter un coupable, pour rétablir la Justice immanente, probablement
. Face à lui, Grégory Gadebois est un « bon gars », qui prend soit de ses 5 enfants et d’une épouse alcoolique et démissionnaire, un homme victime des apparences, un homme faible et qui se défends peu (et mal) et avec qui on est très vite en empathie. Le côté nounours de Grégory Gadebois, sa voix douce, tout cela incarne la détresse du lapin pris dans les phares de la Justice. Les deux comédiens sont à la hauteur de leur talent. Difficile d’évoquer le scénario sans trop en dire, car il faut garder au spectateur son intime conviction de juré.
Une fois le verdict rendu, le film n’est pas terminé et les 3 dernières minutes sont cruciales, elles rebattent toutes les cartes, ébranlent toutes les certitudes, démontre que la quête de la Vérité est une quête difficile, que l’âme humaine est insondable. C’est la performance de Grégory Gadebois dans ces dernières scènes qui envoie dans les cordes le personnage de Daniel Auteuil, et nous avec.
Pourquoi « Le Fil » ? C’est pendant le procès que l’on comprend le pourquoi de ce titre. «Le Fil »,
ce n’est pas seulement un minuscule morceau de textile qui peut faire basculer une conviction, c’est aussi le Fil de la réflexion, celui de la déduction, de lui que l’on essaie de suivre, celui auquel on s’accroche pour déterminer si la Justice à faire à un mari innocent piégé ou un homme capable d’égorger la mère de ses 5 enfants
. Le film de Daniel Auteuil est percutant, il nous embarque dans une intrigue, nous laisse tranquillement nous faire notre intime conviction tel un juré
avant de nous assener la vérité tel un uppercut,
on en sort sonné.